samedi 1 décembre 2018

1er décembre 2018 : les monstres ne sont pas toujours ceux qu'on croit !


Ceux qui ont appris à échanger des mots ont moins envie de s’échanger des coups.
(Régis Debray, L’obscénité démocratique, Flammarion, 2007)



Ma meilleure amie m’ayant conseillé ce film (« il va te plaire » : comme elle me connaît bien !), je me suis empressé de trouver un créneau dans mon emploi du temps surchargé et d’aller voir Yomeddine, avant qu'il ne disparaisse des écrans de Bordeaux.  
C'est un film que notre grand Victor Hugo (et tant pis pour ceux qui n'ont pas lu ou aimé Notre-Dame de Paris et L’homme qui rit, avec la création des personnages extraordinaires de Quasimodo et de Gwynplaine, et l'alliance du grotesque et du sublime) n’aurait pas renié et aurait à coup sûr apprécié. « Je suis un être humain » clame Beshay le lépreux (joué, semble-t-il, par un authentique lépreux - y a rien de pire au cinéma que ces maquillages absurdes ou ces images synthétiques -, comme on trouve aussi parmi les autres acteurs un cul-de-jatte et un nain). Ce qui renvoie à un de mes films préférés, le fameux Freaks de Todd Browning, que j’ai vu pour la première fois à Paris pendant mon année d’études à l’École Nationale Supérieure des Bibliothèques (ENSB). Et si j’ajoute que Yomeddine ne pâtit pas de la comparaison avec les romans de Hugo et avec ce grand classique du cinéma, on voit que pour moi, c’est quasiment le film de l’année, injustement oublié au palmarès du Festival de Cannes : cachez ces "monstres" que je ne saurais voir, semble nous dire le jury. 

 
Revenant de Madagascar où j’ai pu apercevoir quelques "épaves" humaines (j’appose des guillemets, car effectivement je les ai vus comme des êtres humains et non pas des monstres, mais ils sont aussi mal considérés dans ce pays très pauvres que chez nous), je n’étais donc pas dépaysé. 
Ici, nous sommes en Égypte, aux abords d’une léproserie, d’une montagne de détritus (que Beshay le lépreux trie) et d’un orphelinat. Il se fait aider par un des orphelins surnommé Obama. Beshay est marié, mais sa femme, internée dans un hospice pour malades mentaux, meurt. En fait, Beshay a été placé à la léproserie par son père quand il était petit. Il est maintenant guéri, donc non-contagieux, mais son visage et ses mains sont terriblement déformés par la maladie et l’excluent de la société ordinaire. Seule l’amitié d’Obama lui permet de ne pas sombrer dans la morosité. Avec son âne et sa charrette, Beshay se met en tête de partir retrouver sa famille d’origine, et l’orphelin nubien (donc noir, autre forme d’ostracisme ici) décide le suivre. Tous deux vont donc être confrontés à diverses attitudes de rejet, avant de découvrir que l’Égypte offre aussi des plages de solidarité entre les exclus et proscrits divers : handicapés et mendiants en particulier. Si l’on ajoute que Beshay est chrétien (copte ?), donc minoritaire dans cette société musulmane, son odyssée prend valeur d’exemplarité sur la tolérance et même sur le sens de la vie.
Je n’en raconte pas plus. J'entends déjà ceux qui vont me taxer de masochisme d'aller voir de tels films (comme ceux qui parlent de la maladie, de la vieillesse et de la mort : mais j'aime regarder la réalité en face, après tout, je suis aussi un être humain et j'aime découvrir l'humanité dans toutes ses composantes). Si donc vous n’avez pas peur de vous confronter à des personnes hors de la norme (et, au demeurant, qui sommes-nous pour en juger, de cette norme prétendue), vous finirez par trouver les héros beaux, comme dans "Freaks", où ce sont in fine les "normaux" qui nous montrent la noirceur de l’âme. Ici, c’est peut-être plus subtil : il y a du bon et du mauvais partout.



En ces temps de recul de la tolérance (vis-à-vis des migrants, de la pauvreté, des mendiants, des SDF, des chômeurs même) et de regain du racisme, le film nous offre un enseignement (je sais, ça aussi, c'est devenu un "gros mot" à bannir du vocabulaire !) salutaire qui mériterait plusieurs visions, tant le réalisateur brouille un peu les pistes : communautarisme versus universalisme par exemple. Il laisse au spectateur le choix de s’interroger et de se dire : "Qu'est-ce qu'être un être humain" ? On en sort renforcé. Courrez voir Yomeddine quand il passera par chez vous, quand on le projettera à la télé, et n'oubliez pas de découvrir Freaks, si vous n'avez jamais vu cet extraordinaire film de 1932 (rappelons que le titre français en était La monstrueuse parade !!!)  ; ces deux films nous donnent aussi une superbe leçon de vie (en particulier parce qu'ils ne prétendent pas nous asséner une "leçon" !), comme le fut, à certains égards, mon voyage à Madagascar et comme devrait l’être tout voyage, dès qu’on sort d’un cadre conventionnel.



Aucun commentaire: