Parce
que notre rencontre, je le pense aujourd’hui, et l’impossible
qu’il y a eu en elle ne pouvaient trouver place dans une vie et se
sont produits dans l’éternité.
(Vergilío
Ferreira, Lettres à Sandra,
trad. Marie-Hélène Piwnik, Gallimard, 2000)
Décidément,
malgré le temps pourri que nous avons en ce moment, le cinéma
continue (en attendant la déferlante Star
Wars) de nous apporter de belles
surprises. Du
côté des ressorties classiques d’abord, la nouvelle vague
anglaise (free cinema)
est tout justement à l’honneur, présentant des films que j'avais ratés à l'époque (trop jeune : Un goût de miel, par exemple, était interdit aux moins de seize ans).
J’ai profité du festival de
Pessac pour aller voir Le prix d’un
homme (This
sporting life) de Lindsay Anderson,
sorti en 1963, avec Richard Harris (très marqué par le style de jeu de Marlon Brando) dans
le rôle d’un jeune mineur cherchant à sortir à tout prix de sa
condition sociale : remarqué par un vieux dirigeant, il devient
une des stars du club local de rugby à XIII, mais rate son histoire
d’amour avec sa logeuse, la seule qui essayait de lui redonner un
semblant d’humanité. Constat implacable d’une société de
classe gangrenée par l’argent, et où le sentiment n’a pas de
place.
J’ai aussi vu, à l’Utopia cette fois, Un
goût de miel (A
taste of honey) datant de 1961, où Tony Richardson
narre la vie dramatique d’une toute jeune fille qui vit avec sa
mère dans un garni.
Cette dernière collectionne les amants (et
Jo est priée de quitter les lieux lors de ces passades, ce qui lui fait rencontrer le cuisinier d’un cargo, un métis avec qui Jo va connaître une brève
idylle, sans doute le goût du miel du titre),
et finit
par en accrocher un pour se marier. Jo,
restée seule, décide de quitter l’école pour travailler. Elle se
découvre enceinte et rencontre Geoffrey, un jeune homosexuel qui lui propose de vivre
à ses côtés, et qui va lui apporter la sécurité affective d'une forte amitié (à moins que le goût du miel soit là !). Tout se passe dans les quartiers misérables d'une grande ville,
illuminés
seulement par les fêtes foraines, les jeux et les chants insouciants
des enfants. Malheureusement, l’espoir reste lettre morte, la
société condamne ces jeunes à reproduire les erreurs de leurs
aînés, et Jo risque bien de finir comme sa mère. Film en noir et blanc, très subtil, formidablement bien
joué, que j’ai énormément apprécié et que je recommande.
Autre
film anglais, mais tout récent, celui-là (et qui a un peu souffert
d’être vu immédiatement après le précédent), Seule
la terre (God’s
own country), de Francis Lee,
se passe dans une ferme isolée du Yorkshire. Johnny
est un jeune paysan qui doit
assurer les travaux les plus durs, car
son père a eu un AVC et ne peut plus faire ces tâches.
Pour oublier sa solitude, Johnny passe
ses
soirées
à
se saouler au
pub où
il lui arrive d’avoir des
relations sexuelles masculines
sans
lendemain.
N’y
arrivant plus, au moment de l’agnelage, ils
recrutent un saisonnier roumain,
Gheorghe. Johnny, privé
de mère (celle-ci s’est enfuie quand il était petit)
est
très seul, malgré la présence de
sa grand-mère Deirdre. L’arrivée
de Gheorghe
va
l'obliger à
vaincre
sa xénophobie (il
n'arrête pas au début de traiter le saisonnier de "gypsy"),
et
petit à petit, au fil des travaux, de se rapprocher de lui : le
film montre l’apprivoisement entre les deux hommes, comme fil
conducteur d’une vraie histoire d’amour. Ce qui n’est pas
simple, dans le contexte
du
comportement rude de la campagne et qui exclut à priori les
sentiments (en
dehors de ceux apportés aux animaux, vaches et brebis).
Johnny,
maladroit dans ce domaine, va apprendre à aimer, au contact de
Gheorghe. Leur amour est dépeint avec
beaucoup de sensibilité, y
compris dans son côté fleur bleue.
Même
si parfois, la description
des rapports physiques est
un peu surlignée (et, étonnamment, malgré des scènes osées assez crues, il n'est même pas interdit aux moins de douze ans !).
Le
rapport avec la nature est évoqué en plans très larges sur les
collines, les murets et les prairies, tandis que les rapports entre
humains ou entre hommes et bêtes sont montrés en gros plans. Un bon
film, à comparer avec Marvin et Moonlight, autres films récents traitant d'homosexualité..
À
côté, Un homme intègre, de l’Iranien Mohammad Rasoulof, semble
surgir d’une autre planète : comment vivre dans un pays où
la
corruption endémique règne
partout sous forme de pots-de-vin :
dans
les entreprises,
les
lycées,
la
police, la
justice et
les prisons,
les
banques et les
assurances ? Celui qui
ne veut
pas jouer le jeu en
pâtit lourdement : c’est le cas de
Reza, qui
se trouve
à la tête d’une petite entreprise d’élevage de poissons d’eau
douce. Son
terrain est
guetté par
une grande compagnie privée, qui
use de tous
les moyens pour
le faire déguerpir :
coupure
de l’eau
indispensable à son élevage, empoisonnement
des
bassins de poissons,
menaces
diverses. Reza, personnage étrange dans ce cadre, ne souhaite ni corrompre les autres, ni se laisser corrompre. Il
essaie
de
résister,
malgré le
chantage, la violence, la peur pour
sa famille.
Dans
un fol
entêtement, il
décide de ne pas céder.
Il
va se retrouver en prison, puis obligé, pour les protéger, d’envoyer sa femme et son
fils vivre chez son beau-frère. Ce qui frappe dans ce film, c’est
que le héros n’est pas présenté comme aimable.
Il
est brusque, il est rude, il ne sourit jamais.
Les
seuls moments où on le sent apaisé et où il donne un peu prise à
notre empathie, c’est quand il va
se baigner
dans le
petit lac
intérieur
d’une grotte. C’est
un film parfaitement maîtrisé, mais noir, très noir, et on
comprend qu’il n’ait pas plu aux autorités du pays, où le
cinéaste est désormais assigné à résidence.
J’ai signé la
pétition suivante :
https://www.change.org/p/libert%C3%A9-d-expression-pour-mohammad-rasoulof-freedom-of-speech-for-mohammad-rasoulof.
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