l'incompréhension
des gens à mon égard et les questions stupides. « Vous êtes
au chômage ? Ça ne vous manque pas trop le travail ?
C'est dur pour un homme de ne pas avoir à s'occuper... »
(Éric
Pessan, L'effacement du monde,
La Différence, 2001)
On
accuse souvent le cinéma français de ne refléter que fort peu la
réalité du pays, de se complaire dans de grasses comédies ou dans
du nombrilisme parisianiste. Voici coup sur coup deux films présentés
à Cannes et déjà sortis en salles qui ne peuvent pas être chargés
de ces défauts. Deux films sérieux, intenses, qui nous touchent.

La
tête haute
conte l'histoire d'une jeune garçon, Malony, orphelin de père et
dont la mère, bien qu'aimante (Sara Forestier, formidable), est trop
irresponsable pour que la juge des enfants (Catherine Deneuve) le lui
laisse. Dès six ans, il va en famille d'accueil. À seize ans, il
est devenu ingérable : il conduit illégalement des voitures
qu'il vole (sa mère dit qu'il « conduit comme un Dieu »
!). La juge lui donne le choix entre une mise à l'épreuve et la
prison. Est-il irrécupérable ? Il est placé dans un centre
éducatif à la campagne, et suivi par un éducateur, Yann (Benoît Magimel).
Il faudra encore pas mal de péripéties pour que le jeune homme
retrouve un peu de confiance en lui, aidé par la rencontre d'une
jeune fille et par l'affection que lui portent
Yann,
aussi
bien en fin de compte que la juge pour enfants.
La fin est très émouvante (j'ai dû sortir mon mouchoir), quoique
sans doute un peu trop idyllique. Ce film dresse un beau portrait su
service de protection de l'enfance, qu'il faut défendre à tout
prix, car tout vaut mieux que la prison pour ces jeunes déboussolés,
qui en ressortent en général pires qu'ils n'y entrent. Le jeune Rod
Paradot mériterait un prix d'interprétation ! J'avais aimé
modérément le précédent film d'Emmanuelle Bercot, Elle
s'en va
(à cause d'une scène grotesque d'amour physique) ; ici, pas de
fausse note.
Un film à la Kenneth Loach, ce qui est rare dans le cinéma français !

La
loi du marché conte l'itinéraire chaotique de Thierry (Vincent
Lindon, exceptionnel), la cinquantaine, ex-ouvrier sacrifié au
bénéfice des délocalisations ou des actionnaires, et qui a du mal à se recaser, entre
formations bidons proposées par Pôle Emploi et sales boulots. On
suit son parcours difficile : discussions avec un conseiller de
Pôle Emploi, ou avec ses ex-compagnons d'atelier qui veulent faire
un procès à l'entreprise (Thierry, lui, ne veut plus en entendre
parler, il veut tourner la page), entretien inhumain et scandaleux
par skype avec un embaucheur potentiel, jeu de rôle sur « comment
bien se vendre à un futur employeur », humiliation avec la
conseillère bancaire. Il finit par dénicher un emploi de vigile
dans un hypermarché : là, il va s'agir de fliquer les clients
les plus pauvres, aussi bien que les caissières indélicates (car, à
défaut de délocaliser, l'entreprise cherche à virer du personnel
en surplus). Voilà un film qui brasse les questions de société,
avec finesse, intelligence et qui pointe du doigt « l'horreur
économique » que stigmatisait il y a déjà bientôt vingt ans
la grande Viviane Forrester dans un livre admirable. Parallèlement,
le film montre, au travers du héros, la dignité des humbles,
contraints de conserver leur bon sens, leur humanité pour ne pas
péter un câble. Le film est construit en longues séquences qui
donnent une durée singulière et affinent, parfois jusqu'au malaise,
les nuances que Stéphane Brizé a voulu apporter. Après
Mademoiselle
Chambon
et Quelques
heures de printemps,
voici de nouveau un très bon film de ce réalisateur. Je crains
pourtant que le thème refroidisse les gens d'aller le voir :
difficile de lutter contre les mad maxeries et autres avengeries
débilitantes !
Ici aussi, on n'est pas loin de Kenneth Loach.
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