« Ma »
femme, « mes » enfants, « ma » maison,
« mon »corps, « ma » vie, écrit Rilke,
autant de mensonges qui nous cachent l'évidence : nous ne
possédons rien.
(Marc
Petit, Éloge de la fiction,
Fayard, 1999)
Ce
matin, à la poste, une dame veut acheter un timbre.
Obligée
de passer par la machine qui lui délivre un succédané à coller
sur l'enveloppe. J'ai
demandé à l'employée : « Alors,
on peut plus acheter de timbres ? »
« Si,
mais pas à l'unité, par carnet », me répond-elle ; elle
avait obligeamment expliqué le fonctionnement de la machine à la
dame. Encore heureux ! Mais nous voilà transformés en
presse-boutons, bientôt sans contact humain. En sortant, je tiens la
porte ouverte, car il y a presse, je fais le portier, car la lourde
porte fait mal, quand elle se rabat brusquement sur vous. Un des
clients (un "vieux"
monsieur) qui sortait veut bien discuter avec moi : « Eh
oui, monsieur, autrefois, on protestait, comme
vous.
Aujourd'hui, tout le monde accepte tout
sans
broncher. C'est comme pour l'euro. Regardez les Anglais, ils n'en ont
pas voulu, je ne crois pas qu'ils s'en portent plus mal ! »
Toujours
ce matin, à la radio (France culture), Manuel Valls. On lui dit
qu'il est dans la même situation que Rocard en 1988, alors coincé entre
la gauche plus radicale (Chevénement) et le social-libéralisme de
Delors. Dans sa réponse – très alambiquée, j'ai remarqué que
les politiques répondent souvent à côté de la plaque –, il dit
que « la situation n'est plus la même », que « le
monde a changé depuis trente-cinq ans ». Plus
loin, il redit 35.
Et on se moque des gamins qui ne savent plus compter ! Aucun des
animateurs ne lui a fait remarquer que 2013-1988 = 25 !
Hier,
j'ai voulu faire ma déclaration de revenus par internet. Impossible.
Il est vrai que j'ai refusé de cocher les cases du début par
lesquelles on signale qu'on ne veut plus recevoir la feuille papier.
Résultat, des cases que je voulais remplir plus loin (pension
alimentaire, dons aux associations, etc.) ne se sont pas ouvertes. De
toute façon, c'était plus pour vérifier le montant de mon impôt
que je tentais de vérifier (il existe un simulateur qui m'a permis quand même de le faire), car je pense qu'on n'a pas le droit de
nous imposer la déclaration informatique : ce qui impose
l'obligation d'avoir un ordinateur, outil certes utile, mais
absolument pas indispensable. On ne pense pas à tous les plus de 80
ans qui n'en ont jamais eu et qui sont plusieurs millions : ils
iront où, pour faire leur déclaration, à la banque ? À
l'hôtel des impôts ? Chez leurs enfants (tous n'en ont pas) ?
Je préférerais pour ma part un prélèvement à la source. Et puis,
il n'y a aucune raison qu'on fasse le travail des fonctionnaires des
impôts ! Ou alors ne nous plaignons pas de l'augmentation
permanente du chômage. Car, bien sûr, ça va supprimer des emplois !
Avant-hier,
je suis allé rapporter mes bouquins à la bibliothèque. Même
chose : désormais, des robots désormais enregistrent les
prêts. Comme les envois à la poste ! Contact humain :
zéro. Si encore ça libérait du temps pour le personnel, temps qui
lui servirait à aider les usagers hésitants. J'ai quand même vu à plusieurs reprises des
gens entrer, faire le tour, être dépassés par la quantité
monstrueuse de livres et d''auteurs, et ressortir sans que personne
ne les retienne ou ne leur explique comment tout ça fonctionne...
Et
voilà comment le monde va aujourd'hui, un monde sans âme,
qui délègue le pouvoir aux machines (on parle même de vêtements
intelligents ! où donc l'intelligence va-t-elle se nicher ?).
Et après, on s'étonne de la dérive de nombreux jeunes, du taux
important des suicides, de l'abus des anti-dépresseurs. Quand vous
restez des jours entiers sans parler à personne, car même les
caisses des supermarchés deviennent automatiques – et de toute façon, les caissiers ne sont pas là pour discuter ; il y a tout de même au Simply d'ici un caissier du même prénom que moi, et qui dit un mot gentil à chaque client qui passe à sa caisse, et avec le sourire encore –, il peut y avoir
matière à déprimer, non ?
Pourtant
ça ne me gâche pas l'envie de continuer à lire, le
livre étant l'anti-dépresseur par excellence :
"La
liberté n'est pas le geste de se défaire de nos attachements, mais
la capacité pratique
à opérer sur eux, à s'y mouvoir, à les établir ou à les
trancher"
(L'insurrection qui
vient, La fabrique, 2011). Restons pratiques, et ne soyons pas les esclaves des machines, fussent-elles électroniques !
bergers landais dans la Haute lande, fin XIXe siècle
(exposition Félix Arnaudin, Musée d'Aquitaine, Bordeaux)
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