Nos pensées ne sont que trop promptes à s’emparer d’un nouvel objet, à le soulever pour le déplacer un peu à la manière de fourmis qui transportent fiévreusement un fétu de pailles, et puis l’abandonnent…
(Virginia Woolf, La marque sur le mur, in Le quatuor à cordes et autres nouvelles, trad. Michèle Rivoire, Gallimard, 2024)
Virginia Woolf reste mon écrivaine favorite. Chacune de ses phrases me parle, en particulier dans son Journal, sa Correspondance et autres écrits intimes. Elle est pour moi une amie incomparable, comme seuls peuvent l'être des écrivains(e)s ou des artistes. Voici, dans le recueil de Lettres choisies intitulé Tout ce que je vous dois (trad. Delphine Ménager, L'orma, 2020) une lettre adressée à Ethel Smyth, plus âgée qu'elle d'une vingtaine d'années. Comme quoi l'amitié n'a pas d'âge, ce que j'ai pu constater maintes fois dans ma si longue vie.
À Ethel Smith
19 août 1930
"Je ne crois pas aimer vraiment qui que ce soit". Je me suis réveillée cette nuit en me disant : "Je suis pourtant la plus passionnée des femmes. Ôtez-moi mes affections, et je serai pareille à une algue hors de l'eau, à la carcasse d'un crabe, à une coquille vide. De mes entrailles, ma moelle, mon suc, ma pulpe, de toute ma lumière, il ne resterait rien. Je serais souffle dans la première flaque et je m'y noierais. Ôtez-moi l'amour pour les amis, l'urgence brûlante de l'importance de l'existence humaine, de ce qu'elle a d'attirant et de mystérieux, et je ne serais plus qu'une membrane, une fibre incolore et sans vie que l'on pourrait jeter comme n'importe quelle autre déjection. Alors, qu'ai-je voulu dire quand j'ai écrit à Ethel :"Je ne crois pas aimer vraiment qui que ce soit" ? C'est vrai : je ne cherche à me faire remarquer qu'auprès des femmes. Seules les femmes stimulent mon imagination - sur ce point je suis d'accord avec vous. [...] Et souvenez-vous - non pas que vous risquiez d'oublier ce fait essentiel - quelle étrange chose je suis, pareille à un miroir fêlé dans une foire. Seulement, pendant que j'écris ces lignes, me frappe le fait que je romance, comme d'habitude, irrésistiblement aiguillée par l'attrait d'une phrase ; alors qu'en réalité Virginia est simple, si simple, tellement simple : il suffit de lui donner de quoi jouer, comme à une gamine. [...]
Votre Virginia
Soutenez-moi pour que j'arrive à écrire mon chapitre sur Virginia (la seule écrivaine, avec Annie Ernaux, que j'appelle par son prénom) dans mon futur recueil sur mes femmes écrivains !
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