mercredi 23 juillet 2025

23 juillet 2025 : Des clés et des serrures


 

Fais que je sois toujours dans l’abondance de l’éveil

(Henry Bauchau, Tentative de louange, Actes sud, 2011)

 

 

            La vie peut se révéler compliquée, en particulier au moment de l'adolescence, mais aussi à celui de la vieillesse. Un(e) jeune peut avoir l'impression que tout est verrouillé par les parents, les adultes, l'école, les règles, la société, et qu'on ne peut pas s'en sortir. On n'a pas trouvé les clés qui permettent de s'ouvrir au monde, de se comprendre et de comprendre les autres. Et ça peut se terminer très mal si on ne rencontre pas la ou les personnes qui aident à ouvrir serrures et portes dont on a l'impression qu'elle nous sont à jamais fermées. Je viens de lire deux beaux romans sur le sujet.


            Celui d'Ewald Arenz, Le parfum des poires anciennes, paru en 2023, traduit de l'allemand, met en scène Liss, agricultrice, la cinquantaine, qui vit seule avec ses arbres fruitiers, ses abeilles, qui fabrique son schnaps. Elle a un lourd passé et est mal vue dans le village. Et voilà qu'une jeune fille, Sally, dix-sept ans, débarque chez elle. Elle a échappé à ses parents et ses éducateurs, et s'est évadée de la clinique où elle avait été placée pour anorexie, non-respect des normes et mal de vivre. Entre cette jeune fille presque mutique,mal dans sa peau et  la femme mûre qui ne vit que par son travail, source d'oubli de son douloureux passé, le lien va être long à se mettre en place. Pour la première fois de sa vie, Sally rencontre une personne qui ne la juge pas, qui la fait participer aux tâches agricoles, et lui fait prendre conscience de sa force intérieure. C'est que Sally rappelle à Liss sa jeunesse difficile. Les deux femmes ont en commun un passé douloureux. Et, en s'apprivoisant, elles vont réussir à rendre leur présent acceptable. Et, qui sait, peut-être donner du sens à leur vie, se reconstruire grâce à la solidarité et au travail en commun. La cueillette du raisin en pleine nuit est ainsi un trait d'union inattendu pour Sally : "C’était comme partir en voyage. Le lever au milieu de la nuit. L’excitation des premières fois. La chair de poule, entre froid et énervement, parce que le corps est fatigué mais l’esprit bien éveillé". .

            Merci à la vieille dame de l'EHPAD où je fais des lectures à haute voix de m'avoir fait découvrir ce roman et cet auteur.

            Le roman français de Frédéric Lenoir, La consolation de l'ange, paru en 2019, découvert à la Librarie française de Londres, bien que plus abstrait, m'a lui aussi captivé. Là, je remercie la libraire de me l'avoir signalé.

 

            Ici, ça se passe dans une chambre d'hôpital : à la suite de sa tentative de suicide, Hugo, 20 ans, se retrouve hospitalisé dans une chambre double, à côté de Blanche, une vieille dame en fin de vie. Hugo a échoué une nouvelle fois au concours de médecine, et fils d'un célèbre chirurgien, il est sûr de décevoir son père. Blanche, qui frôle les 90 ans, atteinte d'insuffisance rénale depuis plusieurs années, a décidé de refuser désormais les dialyses et de mourir. Le courant va-t-il passer entre ces deux-là ? Vont-ils créer un lien, s'apprivoiser ? Il reste peu de temps à Blanche. Mais elle parle et soumet au jeune homme ses réflexions sur la vie, l'amour, la mort, et même sur Dieu. En quelque sorte, les grandes questions métaphysiques ou philosophiques.  Elle, qui est en fin de vie, veut absolument redonner le goût de la vie à Hugo. Et, pour cela, elle tient à lui faire part de sa propre vie, de l'extraordinaire aventure qu'elle a vécue à 17 ans, et des grandes questions existentielles. Par exemple, pour Hugo, est-il bon de suivre les traces de son père : "Nos enfants ne sont pas nos enfants : ce sont des êtres uniques que la vie nous a confiés. Ils ont leur propre intelligence, et ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de les aider à prendre leur envol, à devenir autonomes", lui dit-elle. Le lecteur est emporté par ce dialogue où il retrouve ses propres interrogations. Finalement, bien que tout les oppose, Blanche et Hugo vont se retrouver dans un récit commun, grâce aussi à Victor Hugo et Etty Hillesum que Blanche fait découvrir à Hugo, et il comprendra que "la seule spiritualité universelle, c’est celle d’amour. […] La vraie distinction pour moi entre les humains, ce n’est pas la religion, la culture, la langue ou la couleur de la peau. C’est : est-ce qu’on respecte l’autre ou pas ?" 

            Lisez ce roman ainsi que d'autres livres de Frédéric Lenoir, c'est un auteur qui fait du bien !




mardi 22 juillet 2025

22 juillet 2025 : L'enfer n'existe pas pour nos gouvernants

 

 

Hélas, autrefois porte-flambeaux de la Palestine, nous en sommes aujourd’hui à collaborer à son effacement et à sa déshumanisation, une rupture douloureuse avec la solidarité qui nous unissait autrefois dans la lutte pour la liberté et la justice. 

(Hanh T. L. Nguyen, in Gaza, d’ici et d’ailleurs, L’Harmattan,2024)

 

        Encore un nouveau texte qui nous fait comprendre l'horreur du comportement  de l'état israélien à Gaza et l'incompréhensible mansuétude, et même l'active complicité à son égard des gouvernements occidentaux en général et du gouvernement français en particulier. Il est vrai qu'on attendait plus rien de ce dernier depuis belle lurette.

            Cette fois, il s'agit de l'Agence France Presse, qui pourtant a mis du temps, presque deux ans depuis les bombardements, les massacres, la famine organisée, l'extermination de tout un peuple. 

            Qu'aurait-on dit si c'était la Chine qui en avait fait autant au Tibet ? Se serait-on tu ? Mais c'est un pays intouchable qui commet ces horreurs, le soi-disant seul démocratique de la région. 

            Ça me donne envie de vomir ! Continuons, nous qui ne sommes que le peuple, à soutenir la Palestine martyrisée ! 

 

            Je remercie Mediapart d'avoir publié l'intégralité du communiqué  suivant, que je vous donne à lire.

        

 

Communiqué de la Société des journalistes de l’AFP, le 21 juillet 2025

Bonjour à tous,
Sans intervention immédiate, les derniers reporters de Gaza vont mourir. L’AFP travaille avec une pigiste texte, trois photographes et six pigistes vidéo dans la Bande de Gaza depuis le départ de ses journalistes staff courant 2024. Avec quelques autres, ils sont aujourd’hui les seuls à rapporter ce qu’il se passe dans la Bande de Gaza. La presse internationale est interdite d’entrer dans ce territoire depuis près de deux ans.

Nous refusons de les voir mourir.

L’un deux, Bashar, collabore pour l’AFP depuis 2010, d’abord comme fixeur, ensuite comme photographe pigiste, et depuis 2024 comme principal photographe. Samedi 19 juillet, il est parvenu à poster un message sur Facebook : « Je n’ai plus la force de travailler pour les médias. Mon corps est maigre et je ne peux plus travailler ».
Bashar, 30 ans, travaille et vit dans des conditions égales à celles de tous les Gazaouis, allant d?un camp de réfugiés à un autre camp au gré des bombardements israéliens. Depuis plus d’un an il vit dans le dénuement le plus total et travaille en prenant d'énormes risques pour sa vie. L’hygiène est pour lui un problème majeur, avec des périodes de maladies intestinales sévères.
Bashar vit depuis février dans les ruines de sa maison de Gaza City avec sa mère, ses quatre frères et sœurs et la famille d'un de ses frères. Leur maison est vide de tout aménagement et confort, à part quelques coussins. Dimanche matin, il a rapporté que son frère aîné était
« tombé, à cause de la faim ».

Même si ces journalistes reçoivent un salaire mensuel de l’AFP, il n’y a rien à acheter ou alors à des prix totalement exorbitants. Le système bancaire a disparu, et ceux qui pratiquent le change entre les comptes bancaires en ligne et l’argent liquide prennent une commission de près de 40%.
L'AFP n’a plus la possibilité d’avoir un véhicule et encore moins de l’essence pour permettre à ses journalistes de se déplacer pour leurs reportages. Circuler en voiture équivaut de toutes les façons à prendre le risque d’être une cible pour l’aviation israélienne. Les reporters de l’AFP se déplacent donc à pied ou en charrette tirée par un âne.

Ahlam, elle, survit dans le sud de l'enclave. Et tient à « témoigner », le plus longtemps possible. « A chaque fois que je quitte la tente pour couvrir un événement, réaliser une interview ou documenter un fait, je ne sais pas si je reviendrai vivante ». Le plus gros problème, confirme-t-elle, c’est le manque de nourriture et d’eau.
Nous voyons leur situation empirer. Ils sont jeunes et leur force les quitte. La plupart n’ont plus la capacité physique de parcourir l’enclave pour faire leur métier. Leurs appels au secours, déchirants, sont désormais quotidiens. Depuis quelques jours, nous avons compris de leurs brefs messages que leur vie ne tenait plus à grand-chose et que leur courage, consacré depuis de longs mois à informer le monde entier, ne les aidera pas à survivre.
Nous risquons d’apprendre leur mort à tout moment et cela nous est insupportable. Ce dimanche, Bashar a écrit :
« Pour la première fois, je me sens vaincu ». Plus tard dans la journée, il a dit à l’un de nous qu’il le remerciait « d’expliquer ce que nous vivons au quotidien entre la mort et la faim ». « Je souhaiterais que M. Macron puisse m’aider à sortir de cet enfer ». 

Ahlam se tient encore debout. « J’essaie de continuer à exercer mon métier, à porter la voix des gens, à documenter la vérité face à toutes les tentatives pour la faire taire. Ici, résister n’est pas un choix : c'est une nécessité ».

Depuis que l’AFP a été fondée en août 1944, nous avons perdu des journalistes dans des conflits, nous avons eu des blessés et des prisonniers dans nos rangs, mais aucun de nous n’a le souvenir d'avoir vu un collaborateur mourir de faim.


Le CA sortant de la Société des Journalistes de l'AFP

 

mardi 8 juillet 2025

8 juillet 2025 : poèmes du mois : des haïkus que j' ai écrits

 

Moi aussi j’ai aimé ceux qui aimant les crépuscules

les pêcheurs d’ombre… 

(Maria Luisa Spaziani, Jardins d’été, palais d’hiver, trad. Patrice Dierval Angelini, 1994)

 

                    Je prépare mon prochain recueil de poèmes ; j'ai l'intention d'y inclure quelques haïkus que j'ai écrits. Je vous en propose quelques-uns aujourd'hui. Qu'en pensez-vous ? Vous semblent-ils publiables ?

 

coup de vent léger

ta lèvre au goût de pêche

se pose sur moi

 

sous le ciel éclatant

j'égrène le sable

ma main est un tamis

 

faible petit Poucet

on se moque de moi

ogre je deviendrai !

 

Carcassonne 

vu du train

les murailles tremblent

 

le Christ ressuscite

des œufs dans le jardin 

nous pleins d'espérance

 

coquille brisée 

poule ravie

poussin étonné

 

mains malhabiles

les aiguilles s'emballent

le tricot bat de l'aile 



Et lisez Basho, le prince du haïku !



 

 

lundi 7 juillet 2025

7 juillet 2025 : Barbara, la chanson du mois

Une tronçonneuse a résonné

et scié ton saule, pleureur.

Stridence en ton enfance, trouble 

évidence, l'adolescence, au sol, 

la souche a résisté.

(Georgette Power, danceplants en Ariège, hors commerce, 2019)

 

                    L'auteur, artiste (au contraire de George Sand, femme à pseudo masculin, il a choisi un pseudo féminin) rencontré récemment, m'a prêté ce petit livre d'artiste contenant des dessins et des vers. J'en ai extrait quelques vers pour introduite la chanson du mois, Mon enfance, de Barbara. Je n'ai jamais vu cette dernière sur scène, et je le regrette un peu. Elle fut un phare illuminant ma jeunesse, à l'instar de Jacques Brel (pas vu non plus sur scène) chez les hommes. Cette chanson, repassée à la radio ce matin, est une de ses chansons qui me parlent beaucoup. J'espère qu'il en sera de même pour vous.   

     


 

 MON ENFANCE

J'ai eu tort, je suis revenue 
dans cette ville au loin perdueOù j'avais passé mon enfanceJ'ai eu tort, j'ai voulu revoir 
le coteau où glissait le soirBleu et gris, ombres de silenceEt j'ai retrouvé comme avantLongtemps aprèsLe coteau, l'arbre se dressantComme au passé
J'ai marché les tempes brûlantesCroyant étouffer sous mes pasLes voies du passé qui nous hantentEt reviennent sonner le glasEt je me suis couchée sous l'arbreEt c'était les mêmes odeursEt j'ai laissé couler mes pleursMes pleurs
 
J'ai mis mon dos nu à l'écorce, 
l'arbre m'a redonné des forcesTout comme au temps de mon enfanceEt longtemps j'ai fermé les yeux, 
je crois que j'ai prié un peuJe retrouvais mon innocenceAvant que le soir ne se poseJ'ai voulu voirLa maison fleurie sous les rosesJ'ai voulu voirLe jardin où nos cris d'enfantsJaillissaient comme source claireJean-claude et Régine et puis JeanTout redevenait comme hierLe parfum lourd des sauges rougesLes dahlias fauves dans l'alléeLe puits, tout, j'ai tout retrouvéHélas
 
La guerre nous avait jeté là, 
d'autres furent moins heureux je croisAu temps joli de leur enfanceLa guerre nous avait jeté là, 
nous vivions comme hors-la-loiEt j'aimais cela quand j'y penseOh mes printemps, oh mes soleils, 
oh mes folles années perduesOh mes quinze ans, oh mes merveillesQue j'ai mal d'être revenueOh les noix fraîches de septembreEt l'odeur des mûres écraséesC'est fou, tout, j'ai tout retrouvéHélas
 
Il ne faut jamais revenir 
aux temps cachés des souvenirsDu temps béni de son enfanceCar parmi tous les souvenirs, 
ceux de l'enfance sont les piresCeux de l'enfance nous déchirentOh ma très chérie, oh ma mère, 
où êtes-vous donc aujourd'hui?Vous dormez au chaud de la terreEt moi je suis venue iciPour y retrouver votre rireVos colères et votre jeunesseEt je reste seule avec ma détresseHélas
 
Pourquoi suis-je donc revenue 
et seule au détour de ces ruesJ'ai froid, j'ai peur, le soir se penchePourquoi suis-je venue ici, 
où mon passé me crucifieOù dort à jamais mon enfance?

Pour l'écouter : https://www.google.com/search?client=firefox-b-e&q=barbara+mon+enfance+youtube#fpstate=ive&vld=cid:8f9fbe9f,vid:_4xxCULF3O4,st:0

 

PS : mon blog était à l'arrêt, suite à une mauvaise manœuvre de ma part : en voulant faire une page sur mon voyage de mai-juin à Londres, je l'ai effacée et n'ai pas eu le courage de la recommencer ! Je vieillis.