(Alain Badiou, Notre mal vient de plus loin : penser les tueries du 13 novembre, Fayard, 2018)
Au moment où les exactions de l'armée israélienne ne cessent de continuer sur Gaza (en dépit d'un prétendu cessez-le-feu), et celles des colons appuyés par les militaires sont de plus en plus fréquentes : empêchement ou vol des récoltes d'olives, vol de bétail, arrachage d'oliviers, voitures incendiées et maisons détruites, enfants et adolescents arrêtés, meurtres, etc..., je crois bon de vous livrer ce texte publié par Alain Graux sur son site.
Lettre d’un palestinien en exil, à l’humanité qui n’a pas abdiqué.
Mohamed Youssef
Je vous écris depuis mon exil entre la nostalgie et la honte d’un monde qui regarde ailleurs. Je n’ai plus de maison, plus de terre, plus de mer, mais j’ai encore ma langue, mes souvenirs et cette rage polie qu’on appelle dignité. Je vous écris à vous, ceux qui avez refusé de détourner les yeux, ceux qui ont donné de leur temps, de leur voix, de leur cœur pendant que les puissants donnaient des armes. Vous avez été l’honneur de l’humanité, celle qui ne se vend pas sur les plateaux télé ni dans les conseils de sécurité. Pendant que les diplomates calculaient les équilibres géopolitiques, vous comptiez les mort·e·s, pendant que des influenceurs prêchaient la paix avec des filtres dorés, vous, vous pleuriez sincèrement des inconnu·e·s, et rien que pour ça, merci !
De mon exil, je regarde ce monde où la compassion s’use plus vite qu’une batterie de smartphone et pourtant vous êtes encore là, têtus, indécrottables, magnifiques. Vous manifestez sous la pluie, vous boycottez entre deux factures, vous répondez aux trolls avec des faits, ce qui de nos jours relève de l’héroïsme. Ne croyez pas que c’est inutile. Chaque mot que vous écrivez, chaque pancarte que vous tenez, chaque silence que vous refusez c’est un caillou dans la chaussure de l’injustice. Et je vous assure, à force de cailloux, même l’oppresseur finit par boiter.
Le combat est long, oui, mais il dépasse la Palestine. Il parle de ce système planétaire qui écrase les faibles, repeint ses crimes en stratégie, et appelle ça ordre international. Nous sommes devenu·e·s le miroir du monde. Ce qui se passe ici n’est pas un conflit. C’est un test. Un test pour savoir combien de temps l’humanité peut regarder l’horreur sans devenir complice. Alors tenez bon ! Continuez à déranger, à douter, à aimer à contre-courant, ne laissez pas la normalité anesthésier vos consciences ! Parce qu’à la fin, ce combat n’est pas entre Palestiniens et Israéliens mais entre ce qu’il reste d’humain en nous et ce que la puissance aveugle veut nous faire devenir.
Le jour où la Palestine sera libre et elle le sera ne serait-ce que par entêtement, on vous accueillera à bras ouverts. On fera une fête que même les étoiles viendront regarder. On dansera, on rira et on racontera aux enfants qu’au milieu du désastre, des gens, quelque part, ont refusé d’être indifférent·e·s. Et ce jour-là, peut-être, on cessera de vous appeler « les soutiens de la Palestine », pour vous appeler tout simplement, les survivant·e·s de l’humanité. Avec tendresse, ironie et poussière dans la gorge, un palestinien en exil, toujours debout.

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