Il
commençait à douter en secret de l’honnêteté de la justice.
(Fumiko
Hayashi, Nuages
flottants,
trad. Corinne Atlan, Éd.
du Rocher, 2005)
C’est
en 1946 qu’Isaac Woodard, vétéran noir encore en uniforme, est
descendu d’un autocar en Caroline du Sud. Il rentrait en Caroline
du Nord retrouver sa famille. Il avait passé quatre ans dans
l’armée : dans le théâtre du Pacifique (où il avait été
promu au grade de sergent) et dans l’Asie-Pacifique (où il avait
remporté une médaille de campagne, une médaille de la Victoire de
la Seconde guerre mondiale et la médaille de Bonne Conduite). Quand
le car est parvenu à une aire de repos, Woodard a demandé au
chauffeur si l’on avait le temps d’aller aux toilettes. Ils se
sont disputés, mais on lui a permis d’utiliser les sanitaires.
Plus tard, quand le car s’est arrêté à Batesburg, en Caroline du
Sud, le chauffeur a appelé la police pour faire sortir le sergent
Woodard (apparemment parce qu’il était allé aux toilettes).
Linwood Shull, le chef, a emmené Woodard dans une ruelle voisine, où
un certain nombre d’autres policiers et lui-même l’on battu à
coups de matraques. Ensuite ils l’ont emmené en prison et l’ont
arrêté pour trouble à l’ordre public. Durant sa nuit en prison,
le chef de la police a battu Woodard avec une matraque en bois et lui
a arraché les yeux. Le lendemain matin, Woodard a été déféré
devant le juge local, qui l’a déclaré coupable et lui a infligé
une amende de cinquante dollars. Woodard a demandé des soins
médicaux ; ils sont arrivés deux jours plus tard. Entre-temps,
sans savoir où il était et souffrant d’une légère amnésie, il
a été emmené à l’hôpital d’Aiken, en Caroline du Sud. Trois
semaines après avoir été porté disparu par sa famille, il a été
localisé puis transféré d’urgence à un hôpital militaire de
Spartanburg. Ses deux yeux sont restés atteints de lésions
irréversibles. Il a vécu, bien qu’aveugle, jusqu’en 1992, où
il est mort à l’âge de 73 ans. Après trente minutes de
délibération, Shull, le chef de la police, a été acquitté de
toutes les charges qui pesaient sur lui, au son des applaudissements
déchaînés d’un jury entièrement blanc.
(Toni
Morrison, L’origine des autres, trad. Christine Laferrière,
C. Bourgois, 2018)
Toni
Morrison, prix Nobel de littérature 1993, est un des grands auteurs
d’aujourd’hui. Aucun de ses livres n’est indifférent. Et ce
dernier paru, composé de six conférences qu’elle a
données en 2016 à l’Université de Harvard, déploie une
argumentation claire et précise, fondée sur des recherches
littéraires, historiques et psychologiques, sur « l’obsession
de la couleur » aux USA et sur les dégâts qu’elle occasionne
encore au XXIème siècle, là-bas et partout.
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