Aujourd’hui,
je sais que le voyage est un mot noble et se réfère seulement à
ceux qui le font à pied. Nos billets d’aller-retour vers des lieux
plus ou moins éloignés doivent être appelés des déplacements. Le
voyage est un chemin sans billetterie ni date de retour.
(Erri
De Luca, Le plus et le moins,
trad. Danielle Valin, Gallimard, 2016)
Le
blog va rester en sommeil pendant l’été, j’y rajouterai
peut-être de-ci de-là une page. Il me faut conclure sur mon voyage
en Suisse et les à-côtés qui ont suivi.
1 :
mes lectures
J’ai
assez peu lu pendant la randonnée cycliste elle-même, parfois deux
ou trois pages pour m’endormir. Je n’avais emporté que ma
liseuse. Mais j’ai beaucoup lu dans le train, chez les cousins de
l’Aveyron et au retour ; je savais qu’il me fallait des
choses faciles, aussi ai-je dévoré deux romans populaires du XIXe
siècle, un palpitant western de Gustave Aimard, L’Aigle
noir des Dacotahs,
et un roman maritime (dénonçant l’esclavage) d’Eugène Sue,
Atar-Gull.
À la suite de quoi, toujours sur la liseuse, j’ai lu trois pièces
de théâtre, Beaumarchais,
de Sacha Guitry, Les brigands,
de Frédéric Schiller et Brutus,
de Voltaire. Enfin, puisque j’étais en Suisse, la délicieuse
pochade de Rodolphe Töppfer (l’inventeur de la bande dessinée,
mais écrivain tout à fait estimable par ailleurs), La
bibliothèque de mon oncle,
histoire d’un adolescent orphelin. J’ai terminé, en rentrant,
par le très beau livre d’Erri De Luca, Le
plus et le moins,
dans lequel l’auteur explore son enfance et son passé de
travailleur manuel : ce
n’est pas un roman, mais c’est magnifique (emprunté à la
bibliothèque de mon quartier). L’auteur s’est par ailleurs
illustré par son opposition à la ligne à grande vitesse
Lyon-Turin : un écrivain certes, mais un homme conscient !
2 :
cinéma
J’ai
fait une courte incursion au Festival de cinéma de La Rochelle, où
je n’ai passé qu’une nuit chez Marc et Yolande, à Angoulins,
toujours superbement reçu. J’ai vu trois films d’Hitchcock, dont
deux "inédits"
(pour moi), un muet, le superbe The
Lodger,
passionnante exploration en 1927 d’un de ses thèmes fétiches,
celui du faux coupable, et The
skin game,
un des premiers parlants (1931), et j’ai revu avec plaisir Les
39 marches (mon
favori de la période anglaise) !!! J’ai vu aussi un passionnant
documentaire colombien, El
valle sin sombras,
de Rubén Mendoza, sur la catastrophe d’Amero en 1985. Et
un moyen métrage remarquable d’Éric Caravaca, Carré
35,
où il explore le secret de famille, un peu comme Annie Ernaux dans
L’autre fille.
Au
cinéma, je n’ai pas manque le formidable film d’Agnès Varda
et JB, Visages villages,
et le film d’animation de Benjamin Renner, Le
grand méchant renard et autres contes.
Des films à voir à plusieurs, voire en famille, et qui ne nous font
pas désespérer du cinéma. Ce sont des films libres, rigolos,
intelligents, qui nous scotchent au fauteuil. Enfin, ne pas négliger
Le Caire confidentiel,
de Tariq Saleh, qui explore la corruption du Caire et de
l’administration Moubarak au moment de la chute du pharaon. Assez
terrifiant, je dois dire, un polar nerveux et bien mené !
3 :
rencontres hors randonnées
Je
ne fais pas que lire dans le train : je somnole un peu, je
regarde par la fenêtre, j’engage aussi la conversation quand je
tombe sur des gens qui n’ont pas les oreilles bouchées, les yeux
fixés sur leurs petites machines et les mains occupées à pianoter
dessus. À l’aller, j’ai ainsi pu dialoguer avec un couple qui
prenait le train à Toulouse comme moi, pour aller faire de la
randonnée en Bourgogne, ils s’arrêtaient à Dijon, terminus du
train. Proches de la soixantaine, ils m’ont révélé qu’ils
passaient leurs vacances à vélo !
Dans
le train de Lyon à Genève, un groupe m’indiqua que, puisque
j’allais passer à Vevey, ne pas manquer le Musée Charlie Chaplin.
Ce sera pour une autre fois.
Mais
la rencontre la plus étonnante fut, dans le train de Lyon à Tours,
celle d’un jeune homme qui étudiait une partition. Il me regardait
lire. Profitant d’un arrêt qui avait dégagé une partie des
voyageurs, je lui ai demandé ce qu’il faisait. « Je prépare
un concert, une cantate de Bach pour le cinq centenaire de la
Réforme ! » « Vous êtes protestant ? »
Et, de fil en aiguille, il me raconta qu’il était en fait
organiste au temple de Tours, et m’invita à venir assister au
concert qui aura lieu le 31 octobre prochain. j’appris aussi qu’il
étudiait encore, sa compagne mal voyante aussi. Un type tout sympa :
je
lui ai offert les deux bouquins que je n’avais pas réussi (ni
cherché) à distribuer lors du tour du lac Léman, Le
journal d’un lecteur
et Danse sur les flots.
4 :
les "warmshowers"
les deux comédiens de Perdre le Nord
Livres
que j’avais emporté en double exemplaire, et dont les autres
exemplaires avaient été donnés à mes hôtes "warmshowers"
de Genève, Nicole et Daniel. Dans leur grande maison, j’ai occupé
le lit de secours situé en sous-sol... Nous sommes allés voir à 19
h une pièce de théâtre qui se jouait en plein air, non loin de
chez eux, Perdre le nord,
sur un texte de Christiane Thébert pour deux comédiens (que j’ai
acheté), joué dans le style Commedia dell’arte. Puis nous sommes
rentrés et avons mangé ensemble, avec leurs enfants ; ils ont
fait un sort aux petits pâtés périgourdins en conserve que j’avais
apportés.
la voiture suiveuse
Et,
à peine rentré à Bordeaux, voilà que m’arrive mardi dernier un
invité "warmshowers" : Alix. C’était prévu, mais
le sms qu’il m’a envoyé le matin même m’a laissé perplexe :
j’arrive avec Grand-mère. « Bon, me dis-je, j’ai bien
appelé la bicyclette du cyclo-lecteur "Rossinante", pourquoi pas
"Grand-mère", ça doit être un vieux vélo ! » Pas du
tout, il arrive réellement avec sa vraie grand-mère. C’est qu’Alix
n’a que seize ans, il est donc mineur et bénéficie d’un
accompagnateur en voiture qui le suit (il est parti de la Drôme) ;
ce fut d’abord son père, maintenant, c’est sa grand-mère, à
partir du Nord de la France, ce sera son grand-père ! Belle
organisation. Il a préparé tout ça pendant un an, cherchant des
sponsors, des lieux d’accueil gratuits (comme chez moi) et avance à
raison de 100 à 170 km par jour, avec un jour de repos par semaine.
C’est le défi d’Alix, qu’on peut suivre sur internet :
tapez sur google "le défi d’Alix". Il voulait découvrir la France.
Et notez bien qu’il ne fait pas les choses à moitié comme les
coureurs du Tour professionnel (vous avez vu leur parcours, rien à
voir avec un tour de France !), regardez le parcours d'Alix...
le parcours d'Alix
Allons,
tant qu’il reste des adolescents aussi imaginatifs et pleins d'énergie, on peut dire
que notre relève est assurée...
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