mercredi 5 juin 2013

5 juin 2013 : maladie honteuse


Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,

Je connais ce mystère sourd-muet

Que dans la langue menteuse et noire

Des humains – on appelle la vie.

(Marina Tsvétaïeva, Le ciel brûle)



Quelle journée ! Première fois que je m'habille comme sur le cargo, c'est-à-dire avec deux misérables épaisseurs sur moi, alors que la semaine dernière j'en avais encore quatre, dont ma veste de laine suédoise ! Ma surprise fut grande en allant à vélo jusqu'à la Place de la Victoire faire des photocopies à la COREP, de devoir rapidement enlever une épaisseur et me découvrir les bras qui n'avaient pas vu le soleil depuis le 12 mars ! Il est vrai qu'on nous annonce encore de la pluie pour le prochain week-end...

Et, avec le beau temps – relatif – les mendiants et SDF sont de nouveau plus nombreux. Je ne peux pas me faire à cette société de la compétition de chacun contre tous qui laisse par côté tant d'êtres humains. L'individualisme contemporain qui fait primer soi contre autrui entraîne l'absence d'éthique collective et solidaire, et favorise le repli sur soi et l'incivilité ; car laisser la mendicité se développer, c'est être incivil. "Souvent, le seul bien qu'on peut faire à autrui, c'est – de l'écouter. Alors, l'oreille est un organe de l'amour", écrivait André Gateau, poète ouvrier dans son Journal inédit. Aujourd'hui, dans le brouhaha généralisé et permanent de la radio, de la télé, du téléphone, plus personne n'écoute personne ; au fond, plus personne n'aime son prochain. Le Christ est définitivement mort et enterré. Il est vrai que "l'amour, c'est un grand mystère, vous ne trouvez pas ?", comme le clame Andrea, un des personnages du roman noir de Cesare Battisti, L'eau du diamant.

On préfère se presser au prochain Salon du Bourget, voir toutes les merveilles de la technologie meurtrière des armes modernes, en particulier des drones (200 000 visiteurs sont attendus, complices passifs de toutes les guerres et conflits – mais tant que ça se passe ailleurs, qu'est-ce que ça peut nous faire, n'est-il pas ?), tandis qu'un salon de la poésie comme la Biennale des poètes en Val de Marne qui vient de se passer n'aura vu venir que quelques centaines de curieux. Il est vrai que "Poète, ce n'était pas une profession ; dans le peuple, il s'attache à ce titre une sorte de honte, comme si la poésie fut une tare", écrivait aussi André Gateau, dans son Journal ; tandis que fabricant d'armes, marchand d'armes, en voilà une profession, et des plus honorables, et qui ne se porte pas comme une maladie honteuse.

Ah ! J'enrage. Ça me fait repenser à mon cher Panaït Istrati, « l'homme qui n'adhère à rien », qui disait des prolétaires de Braïla dans son roman Le bureau de placement : "ils supportaient leur sort avec une gaieté dont l'inconscience l'épouvantait. Toute leur espérance se réduisait à une possible augmentation de salaire, bien insignifiante, due à une application, à un acharnement, à une servilité, à des intrigues même, que le patron devait un jour remarquer et récompenser." Tant que l'inconscience de classe en restera à ce niveau de servilité et d'intrigue, la misère, la mouise, le chômage, les haines, le racisme, le patriotisme obtus ont de beaux jours devant eux. Car n'oublions pas que les états, plus que jamais, sont au service de la ploutocratie mondiale qui, elle, se fout complètement de la notion même de patrie qu'elle fait gober aux bons peuples, pour les dresser les uns contre les autres, avec souvent l'appui fervent des religions : la patrie des oligarques, c'est le fric qu'ils promènent allègrement aux îles Caïman, en Suisse et à Singapour. Eux, ils en ont une, de conscience de classe ! Un milliardaire américain Warren Buffett, n'a-t-il pas déclaré il y a quelques années, qu'il existe "bel et bien une guerre des classes mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la guerre et c'est nous qui gagnons".

Queen Nanny
 

Refusons d'être les esclaves de ces maîtres absurdes et malfaisants, de voter pour eux, faisons comme Queen Nanny, l'héroïque esclave de la Jamaïque qui, vers 1720, leva une insurrection contre les planteurs esclavagistes et réussit à créer et à maintenir une communauté libre de fiers maroons [on désigne sous l'appellation de nègres marrons – maroons en anglais ceux qui se sont enfuis des plantations et libérés de leurs chaînes]. Eh oui, on fête toujours l'abolition de l'esclavage, mais on oublie qu'à plusieurs reprises, les esclaves ont été capables de se libérer sans qu'on leur octroie le droit de l'être !
Qu'attendons-nous pour nous libérer des puissances d'argent ?

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