vendredi 12 avril 2013

12 avril 2013 : sacrée Louise !




Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables… Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter.

(Appel du Comité central de la Garde nationale de la Commune de Paris, le 25 mars 1871)




Eh oui, il faut toujours en revenir à la Commune de Paris, cet extraordinaire moment de vraie liberté, qui n'a malheureusement pas duré longtemps, écrasée par les forces de la réaction, avec une sauvagerie inouïe (des enfants et des bébés tués dans les bras de leurs mères, on ne sait jamais, de futures graines de révoltés), sans doute pour se dédouaner d'avoir fort mollement combattu les Prussiens, ce que précisément leur reprochaient les Communards : "il ne se peut pas qu'on subisse le joug des traîtres qui restèrent des mois entiers sans tirer sur les Prussiens et qui ne restent pas une heure sans nous mitrailler" (Manifeste adressé par la Commune aux révolutionnaires de Montmartre, mai 1871). Louise Michel notait : "pour rendre justice à qui de droit, ajoutons que jamais les plus grossiers uhlans ne se rendirent coupables d'autant de férocité." Et quand on songe que, un mois après la semaine sanglante, la même armée allait encore assassiner les révoltés de Kabylie avec une férocité tout aussi implacable (ah ! elle fut belle, la colonisation !). On comprend, à voir comment l'armée fut utilisée contre le peuple, pourquoi les anarchistes ont toujours été farouchement antimilitaristes. 
La vierge rouge
 

Je lis toujours chez Louise Michel une défense des petits, de ceux qui sont privés par la société d'une vie décente. Elle défendit constamment – elle, la vierge austère, "ces malheureuses qu'on abreuve de honte parce qu'on en a fait des prostituées, comme si la honte était pour les victimes et non pour les assassins." À la prison de Versailles, où les Communardes étaient enfermées avec les prostituées et les ivrognesses, sans doute pour faire croire que les femmes de la Commune étaient toutes des moins que rien, elle observe : "Si les femmes des prisons font horreur, moi c'est la société qui me dégoûte !" Eh oui, les femmes de la bonne société venaient reluquer avec répugnance et insulter les prisonnières, c'était la sortie du dimanche !

Et pourtant, jamais Louise ne se départit de son optimisme un brin naïf, en tout cas pour l'instant non corroboré par le XXIème siècle : elle conclut une de ses fameuses conférences "en disant que ma conviction était que dans l'avenir on reconnaîtrait la folie du capital, de la guerre, des castes et des frontières et qu'il n'y aurait plus qu'un seul et même peuple qui serait l'humanité." Elle avait vu les méfaits du capital (la misère générale, les salaires insuffisants, les enfants et les vieillards mourant de faim), ceux de la guerre et surtout de la guerre faite au peuple, ceux des différences de castes (elle n'eut jamais que la haine des puissants, de ceux qui profitent du pouvoir pour dominer, y compris pour engrosser leur servante, ce qui arriva à sa mère), et aussi ceux causés par les frontières et les barrières raciales. Elle fut admirable en Nouvelle-Calédonie, en apprenant leur langue et en faisant classe aux Kanaks, malgré l'interdiction qui lui était faite, en s'intéressant aux Kabyles déportés eux aussi, et à qui elle promit de rendre visite. Ce fut sa dernière tournée de conférences, en Algérie, à l'automne 1904, où âgée de soixante-quatorze ans, très fatiguée, elle souleva pourtant un bel enthousiasme, réussissant à drainer un public composé de Français, d'arabes et de juifs autochtones. Car elle avait aussi pris parti pour Dreyfus, dans la fameuse affaire.

Elle mourut peu de temps après son retour, à Marseille, en janvier 1905. sa dépouille mortelle, transportée à Paris, fut suivie par une foule de plus de cent mille personnes jusqu'au cimetière de Levallois-Perret, où Sèverine (qui fut secrétaire de Jules Vallès, et à sa suite une insurgée), grande figure du féminisme militant de la fin du XIXème siècle, prononça une belle oraison funèbre. Je continue à travailler sur Louise pour un chapitre de mon livre ; j'ai peur qu'il ne soit plus long que prévu. Je vais essayer de réhabiliter l'écrivain-poète :


Vent du soir, que fais-tu de l'humble marguerite ?


Mer, que fais-tu du flot ? Ciel, du nuage ardent ?


Oh ! Mon rêve est bien grand, et je suis bien petite ! 

Destin, que feras-tu de mon rêve géant ?

À travers la vie et la mort




A-t-on remarqué la faible place accordée aux femmes dans les histoires et les dictionnaires de la littérature ? George Sand n'a pas un seul de ses romans en Pléiade : on pourrait au moins y glisser ses romans champêtres, non ? Les doctes daubent toujours sur les bas-bleus. D'où le discrédit (en plus de ses idées avancées) sur Louise Michel écrivain. Sans doute elle ne se relisait guère et ne faisait donc pas un véritable travail d'écrivain. Mais enfin, ses écrits ne sont pas négligeables ; elle a de belles trouvailles dans ses Légendes canaques : "toutes les plantes ont dansé cette nuit dans les valses du vent." Elle-même qui a souvent écrit dans la presse, remarquait qu'elle avait "eu plusieurs fois l'occasion de remarquer qu'en jetant dans la boîte d'un journal quelconque des feuillets signés Louise Michel, il y avait cent à parier contre un que ce ne serait pas inséré ; en signant au contraire Louis Michel ou Enjolras [référence à l'étudiant révolutionnaire dans Les misérables de Victor Hugo], la chance était meilleure." Bien observé !

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