samedi 11 juin 2011

11 juin 2011 : L'Affaire...


Être amoureuse – ce sens subtil enthousiaste et inoubliable du caractère unique de l'autre.

(Susan Sontag, Renaître, 20/4/1958)




S'il y a au moins une chose sur laquelle l'Affaire DSK a réussi à nous ouvrir les yeux, c'est sur notre trop grande complaisance à l'égard de ces grands seigneurs qui nous gouvernent. Ouvrir les yeux de certain(e)s d'entre nous, du moins. J'emploie à dessein ce terme de grands seigneurs, car inévitablement pour l'amateur de théâtre et d'opéra que je suis, comment ne pas penser à Molière, Beaumarchais et à Mozart qui a tiré de leurs pièces la matière de ses deux opéras Don Giovanni et Les noces de Figaro ? Dans les deux cas, on voit des grands seigneurs user de leur pouvoir pour séduire ou tenter de séduire, ou même d'imposer un droit de cuissage sur les femmes qui sont à leur portée. Don Giovanni s'ouvre même sur une tentative de viol, suivie d'un meurtre, car après tout, il faut essayer de masquer le méfait.
Film de Losey d'après Mozart
DSK, Don Juan de pacotille

L'Affaire nous a aussi ouvert les yeux sur les mœurs de nos hommes politiques, qui n'ont rien à envier à celles des grands patrons ou des aristocrates de l'ancien temps. Oui, l'Ancien régime n'est pas mort, il faut encore faire la révolution. L'affaire a délié les langues, les femmes commencent à faire entendre leurs voix. Remarquons que tout cela se savait : je me souviens des années Giscard et de la manière éhontée dont ce dernier – pourtant président de la République – se permettait de parler d'une de ses femmes ministres, comme si ce n'était qu'un objet sexuel.

Et remarquons combien tous ces gens-là se serrent les coudes, soit très franchement (« Je le connais bien, je ne le crois pas capable d'une telle chose »), soit en se retranchant sous le couvert de la présomption d'innocence (autour de moi, alors que l'Affaire fait l'objet de toutes les conversations, c'est plutôt la présomption de culpabilité qui prévaut, il est vrai que je ne fréquente guère des gens de la haute !), soit en tenant des propos scandaleux tendant à déconsidérer la vraie victime, qui devrait au contraire se sentir fière d'avoir fait l'objet d'un « troussage de domestique » : et voilà, on retrouve là "le mouvement même du mépris – la plaie du monde –, tel qu'il règne encore partout plus ou moins camouflé dans les rapports humains", que dénonçait Robert Antelme quand il décrivait les camps de la mort. On voit bien que ces gens-là, qui tiennent le haut du pavé ne reconnaissent pas ce "caractère unique de l'autre" que Susan George tenait pour indispensable dans la relation d'amour et, sans doute plus généralement, dans les relations humaines, comme le montrent les belles paroles qu'elle dit dans le documentaire Après la gauche qui vient de sortir au cinéma, et qui nous réconcilierait presque avec les idées politiques.

Disons-le tout net : en dépit de son argent, de son savoir, de son intelligence, notre individu est un malade, il a grand besoin d'être soigné, et enfermé s'il le faut ! Quand on ne sait pas maîtriser ses pulsions, on arrête de vouloir se faire élire, de vouloir en faire accroire. Qu'il médite dans sa cage dorée cette phrase trouvée dans une nouvelle de Sylvain Trudel : "mon vœu le plus cher est de disparaître au plus vite de la surface de la terre et de la mémoire des hommes pour vous soulager de ma présence."

Décidément, devant cet étalage de nausée qui nous envahit – surtout quand on sait qu'avec l'argent qu'il a, il sera sûrement acquitté – nous n'avons plus qu'une seule satisfaction : au moins, nous sommes débarrassés définitivement d'un candidat dont de toute façon nous ne voulions pas. Je ne sais pas d'où sortaient tous les sondages qui le donnaient gagnant, mais franchement, je connais bien les gens (les vrais, pas les sondés) qui votent généralement à gauche, je n'en connaissais pas un qui aurait voté pour lui, du moins de gaieté de cœur. Par contre, je connais des électeurs de droite qui auraient voté pour lui : cqfd.

Qui a jamais cru que cet individu pouvait être de gauche ? Pouvait-il représenter des valeurs auxquelles nous sommes attachés comme l'égalité (regardons les sommes fabuleuses qu'il a versées pour être libéré, ou pour se loger à sa sortie de prison – et dire que ce sont ces mêmes gens qui trouvent que le RSA octroyé aux malheureux est scandaleux !), la solidarité (comme je l'ai dit, et on le voit bien aux réactions suscitées, il s'agit bien pour eux de la solidarité entre eux, une espèce de connivence de la culture, de l'économie et de classe), l'antiracisme (à moins de considérer que justement il prouve par son acte qu'il a une certaine considération pour les femmes noires, sans doute celle qu'avaient les maîtres de plantations pour leurs esclaves), la justice sociale (nous ne serions pas surpris que, malgré tous leurs millions, ces gens-là ne payent pas d'impôts) ?

J'arrête là la litanie des valeurs auxquelles je pense qu'un homme de gauche – et je dirais même un homme ou une femme politique tout court – doit se référer. Personnellement, je disais déjà bien avant l'Affaire, que je ne voyais aucune différence entre Sarko et lui ! Et qu'en aucun cas, je n'aurais voté pour lui, même au cas improbable d'un second tour contre Marine Le Pen : ils se valent bien, comme représentants du Capital !

Faut-il penser que la politisation médiatique moderne favorise l'émergence de ce type d'hommes (ou de femmes) politiques qui choisissent leur parti, non pas à la mesure de leurs idées (ils n'en ont aucune, en dehors de maintenir les privilèges de leur caste), mais en fonction du potentiel d'arrivisme qui leur permettra de monter au plus haut degré des marches du sommet ? Est-ce pour cela que le débat politique est d'une insignifiance , d'une pauvreté alarmantes, et verse de plus en plus dans la démagogie la plus insolente ? Où voit-on un projet, des idées pour un programme réel, viable, enthousiasmant, qui soit autre chose que de la poudre de perlimpinpin pour électeurs à berner ? Il n'y a plus guère que chez les alternatifs que j'aperçois une lueur d'espoir, chez tous ces gens qui cherchent à innover dans les domaines sociaux et écologiques (cf l'excellent mensuel L'âge de faire), chez les associatifs qui défendent les plus démunis contre les requins de la finance et de la loi.

Franchement, au point où on en est, voter (c'est-à-dire abdiquer mon pouvoir, le déléguer à des incapables, à des vendus au Capital, à des salauds, comme aurait dit Sartre) me donne envie de vomir. Ou de devenir cénobite, de fuir loin du monde...

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