jeudi 12 mai 2022

12 mai 2022 : eh oui, je voyage seul !

 

L’évidence me frappait. Quel que soit l’endroit où il nous mène, un voyage doit se faire seul.

(Claude Andrzejewski, Remédios, nouvelle inédite)



Je m’apprête à partir, en solo, comme d’habitude. Mais en réalité, je ne suis jamais seul. Dans le bus qui va m’amener à Clermont-Ferrand, puis à Lyon, à Montpellier, à Toulouse, je ferai certainement des rencontres. Et dans chacune de ces villes, je rendrai visite à quelqu'un, à mon fils, à des amis, à des sœurs ou des cousins. Je ne pars pas dans le vide, pour le simple plaisir de partir, comme parfois on le croit. Aussi, n’ayez pas d’inquiétude. Mais c’est vrai que j’aime voyager seul. Pour parfaire ma connaissance de mon moi, pour évaluer mes capacités de faire des rencontres de personnes avec qui il m’arrive de nouer une amitié.

J’ai fait de longues randonnées à vélo en solitaire, depuis 1973 où j’ai traversé la France en diagonale depuis le sud-est jusqu’à mon port d’attache, Angers, où je travaillais alors. Personne ne savait où j’étais, je dormais en auberge de jeunesse. Le téléphone portable n’existait pas, je n’avais rien réservé, j’improvisais. Ainsi, au sommet du col d’Allos (2240 m) : quand j’y suis arrivé non sans difficultés physiques consécutives à environ 20 km de montée parfois assez rude, j’ai trouvé un brouillard si épais que je ne pouvais pas envisager de descendre sans me mettre en péril. J’ai avisé une bâtisse de pierre vaguement visible. J’ai frappé ; c’était un chalet-refuge des PTT. Il y avait là le gardien, sa femme et leur fils de onze ans. Ils m’ont accueilli, réconforté, installé dans une chambre, m’ont fait à manger, nous avons joué à des jeux, et rebelote le lendemain, car le brouillard épais s’est maintenu le jour entier. Mais le surlendemain, je me suis réveillé à 6 h, et en ouvrant les volets, qu'est-ce que je vois : un ciel bleu magnifique. Je cours voir mes hôtes, petit-déjeune avec eux, leur fais mes adieux et m’élance dans la pente avec l’ardeur juvénile de mes vingt-sept ans. 57 km jusqu’à Castellane, en pente rapide d’abord, puis en pente très douce avec, de temps à autre, un faux plat qui remontait. Un bonheur pur et gratuit. Mes hôtes ne m’avaient rien fait payer !!!

J’ai réédité ces randonnées cyclistes en solo plusieurs fois, jusqu’en Guadeloupe dont j’ai fait le tour dormant sur les plages, pendant que Claire gardait le bébé Mathieu, et toujours sans téléphone, que nous n’avions pas à la maison ! Je suis parti seul en Pologne en 1974, traversant vaillamment le Rideau de fer à l’aller et au retour, pour retrouver les amis polonais que je m’étais faits l’été précédent en auberge de jeunesse. Les AJ (comme on disait alors) étaient encore semblables à celles décrites par Jean-Pierre Chabrol dans son beau roman sur le Front populaire, L’embellie : des lieux de vie intense et de rencontres généreuses. Je les avais découvertes en Écosse en 1971, lors du voyage en auto-stop que je fis cette fois pas seul, avec mes amies Anne, Marie-Josée et Anne-Marie, mes condisciples de l’École des bibliothèques. Preuve que j’étais capable de voyager en groupe (petit) avec des personnes que j’aimais et estimais.


Je suis parti seul sur des cargos. On a pu s’en étonner ! Qu’allais-je faire dans cette galère ? Eh bien, m’exercer à vivre, à continuer à vivre, à affronter ce qui restait en moi de peur : de l’inconnu, de la solitude, du vieillissement, du milieu hostile qu’était pour moi la mer (j’avais un rêve récurrent de noyade depuis mon enfance), d’un monde nouveau rempli d’étrangers de diverses nationalités ; et vivre pleinement, totalement (presque) coupé du monde, et obligé de puiser dans les réserves de ma vie intérieure et de mon âme. Eh bien, c’était formidable, et chaque fois j’ai trouvé que c’était trop court !

Vivons, que diable ! Et vivons sans peur et sans inquiétude ! Sortons de notre confort douillet habituel ! Mon amie Léone n’hésitait pas à 90 ans à se remettre en question chaque année, en économisant de quoi se payer un voyage lointain, de groupe, certes, mais elle ne connaissait personne des groupes en question : elle était encore ouverte aux connaissances et expériences inconnues. Elle vivait ! Et, pour l’instant, j’ai, comme elle, toujours envie de continuer à vivre, à découvrir choses et gens, à me repaître de cultures diverses, à refuser la normalité (qui, d’ailleurs, n’existe pas), à me plonger dans un perpétuel étonnement, dans l'émerveillement du monde animé par l’âme des gens que je rencontre, loin du matérialisme ambiant d’un monde sans esprit...

 

 

1 commentaire:

Berthelot Vincent a dit…

Tu as raison mon ami. Soyons vivant et n'ayons pas peur.
Dussions nous n'être en capacité que de faire le tour du jardin, partons l'explorer !
Vincent