mardi 11 décembre 2018

11 décembre 2018 : Marrakech, festival de cinéma


« Le rire est le sel de la vie, petite mère. Eh bien, tu sales trop ! Ça décape la joie. »
(Driss Chraïbi, La civilisation, ma mère !, Gallimard, 1989)


notre hôtel et, derrière, le Palais des congrès

Huit jours à Marrakech, loin des bruits du jour, je dois dire que ça décape, ça remet aussi les pendules à l’heure, surtout quand nous apprenons que les fameux gilets jaunes, du moins certains d’entre eux, s’en prennent aux migrants en plein milieu de la conférence internationale de Marrakech sur le sujet, qui débutait hier, jour de notre retour. On en arrivait à regretter de ne pas être totalement déconnecté, et de ne pas être hébergé dans un hôtel bon marché ne proposant pas un téléviseur dans chaque chambre.

dans la vallée de l'Ourika

Il nous restait, heureusement, à nous promener en ville, à discuter avec les autochtones (souvent jeunes), d’approfondir la connaissance des membres du groupe (dix-huit femmes, six hommes), à découvrir la vallée de l’Ourika et aussi, puisque nous étions venus pour ça, à visionner quelques films. Comme les années précédentes (2014 et 2015), il y avait trois salles de projection : deux au Palais des Congrès (la salle des Ministres, où étaient projetés les films en compétition, en présence du jury présidé par James Gray, et la salle des Ambassadeurs, que j’ai boycotté, car pour des problèmes techniques, les films n’y étaient pas sous-titrés en français), et à 1,5 km environ à pied en allant vers le centre ville, le Colisée, salle de cinéma ordinaire, fréquentée par un public plus populaire.

le Ciné-Palace, un ancien cinéma de Marrakech, à l'abandon,
découvert lors de mes promenades

J’ai vu dix-huit films, dont onze sur les quatorze en compétition. Petit aperçu de la compétition où les films n’étaient pas très gais, traitant en grande partie de problèmes sociaux.


Le film soudanais Akasha est le seul qui m’a mis en joie : il montre l’absurdité de la guerre à travers le portrait d’un déserteur un peu barjot. Magnifiques paysages, belle interprétation, j’ai beaucoup ri. Dans le film allemand Tout va bien, l’héroïne (prix d’interprétation féminine), victime d’une relation sexuelle non désirée, s’enfonce dans le non-dit et voit sa vie détruite. Le film mexicain La camarista (prix du jury) décrit le quotidien d’une femme de chambre dans un grand hôtel de Mexico. L’envers du décor en quelque sorte. Diane (USA) raconte les difficultés d’une femme qui pratique la compassion et l’altruisme à outrance,au risque de s’oublier elle-même. La girafe (film égyptien) étale la face nocturne du Caire, du machisme et de la douleur des femmes. Irina, magnifique film bulgare, nous met en présence d’une femme qui tente de sortir de la misère en devenant mère porteuse : on n’a pas fini de parler de ce sujet.













Regarde-moi, de Mohcine Besri
 
Regarde-moi montre un père tunisien (prix d’interprétation masculine) peu attentif jusque-là à son fils autiste (l’enfant acteur qui joue le rôle aurait tout autant mérité le prix !), qui doit le prendre en charge après le décès de sa femme. Très émouvant. Red snow est un polar japonais : vingt ans après un fait divers, un journaliste tente de comprendre les faits en retrouvant les protagonistes qui semblent avoir tout oublié (cf l’affaire Gregory dans les Vosges, à laquelle on pense). Rojo est un beau film argentin sur les prémices de la dictature des généraux au milieu des années 70. Une urgence ordinaire (sans doute mon préféré) conte les affres d’une famille marocaine aux prises avec le système corrompu des hôpitaux publics : très prenant. Le film chinois Vanishing days montre l’intrusion de la fiction dans la réalité d’une collégienne : un peu obscur !


Parmi les films qui n’étaient pas en compétition, soulignons la qualité de quelques-uns dont certains devraient sortir prochainement en France. L’Américain Green book, sur les routes du Sud (sortie le 23 janvier), nous montre la réalité du racisme aux USA en 1962 : cet excellent film nous indique que rien n’avait changé depuis la Guerre de sécession, un siècle plus tôt. Le très bon film italien Euforia met en présence deux frères dont l’un a une tumeur au cerveau : inutile de dire que le sujet et son traitement m’ont passionné. Deux films marocains, Ultime révolte (un sculpteur vieillissant retrouve une seconde jeunesse) et We could be heroes (ce documentaire traite des handicapés qui participent aux jeux paralympiques et des difficultés qu’ils doivent surmonter) donnent un aperçu de la variété des thématiques de ce jeune cinéma. Le superbe film colombien Les oiseaux de passage (sortie le 10 avril prochain) montre les dégâts du trafic de drogue chez les tribus indiennes : à ne pas rater ! Capharnaüm, film libanais déjà sorti en France (et que j'avais raté), est également exceptionnel : le monde des adultes vu par un enfant de douze ans.

 
  
En résumé, un festival plutôt moyen, où les meilleurs films n’étaient pas en compétition. Ceci étant, je n’ai pas vu Joy (sur la prostitution africaine à Vienne en Autriche), qui a obtenu l’Étoile d’or, ni le film serbe La charge (la guerre des années 90) qui a eu le prix de la mise en scène… Et j’ai lu aussi les écrivains marocains que j’avais emportés : Driss Chraïbi, Mahi Binedine et Tahar Ben Jelloun, histoire de me sentir dans le bain. Ce qui m’a fait regarder autour de moi avec un œil différent.

et toujours, les chats du Maroc


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