Tu
as voulu aller au bout du monde, quelle idée, quelle belle idée.
Nous y sommes. Tu n’y es pas arrivé, tu y étais déjà.
(Xavier
Person, Une limonade pour Kafka,
Éd.
de l’Attente, 2014)
Le
bout du monde ?
Quelquefois, je me dis qu’en effet, je n’ai pas besoin d’emprunter des chemins de traverse, fussent-ils sur des océans, pour y être arrivé. D’une certaine manière, dès qu’on est à la retraite, on y est déjà. Du moins, a-t-on atteint le bout d’un monde, celui du travail, celui de l’utilité sociale... Les retraités peuvent bien s’agiter, voyager (la SNCF vient de m’aviser qu’au 30 novembre, j’avais parcouru cette année 14321 km en train !), avoir de multiples activités associatives, familiales, amicales, ludiques, sportives, culturelles, le corps et l’esprit ont des limites, leur monde se restreint peu à peu : un tel a de la dégénérescence maculaire et n’y voit plus très bien, une telle est de plus en plus sourde, une autre a de gros problèmes d’articulation, celui-ci a du mal à se situer dans l’espace, ceux-là abhorrent le bruit et les jeunes, certains ne peuvent plus prendre l'avion ni le train, et sans aller jusqu’à l’Alzheimer menaçant, en effet, tous se rapprochent du bout du monde, de leur monde.
Quelquefois, je me dis qu’en effet, je n’ai pas besoin d’emprunter des chemins de traverse, fussent-ils sur des océans, pour y être arrivé. D’une certaine manière, dès qu’on est à la retraite, on y est déjà. Du moins, a-t-on atteint le bout d’un monde, celui du travail, celui de l’utilité sociale... Les retraités peuvent bien s’agiter, voyager (la SNCF vient de m’aviser qu’au 30 novembre, j’avais parcouru cette année 14321 km en train !), avoir de multiples activités associatives, familiales, amicales, ludiques, sportives, culturelles, le corps et l’esprit ont des limites, leur monde se restreint peu à peu : un tel a de la dégénérescence maculaire et n’y voit plus très bien, une telle est de plus en plus sourde, une autre a de gros problèmes d’articulation, celui-ci a du mal à se situer dans l’espace, ceux-là abhorrent le bruit et les jeunes, certains ne peuvent plus prendre l'avion ni le train, et sans aller jusqu’à l’Alzheimer menaçant, en effet, tous se rapprochent du bout du monde, de leur monde.
C’est
aussi pour quoi le passé ressurgit sous diverses formes. L’enfance,
l’adolescence, la jeunesse, se parent de couleurs, parfois roses,
parfois noires ; on a envie de s’y replonger pour retrouver de
vieilles sensations ou impressions enfouies. Ah ! les premières
fois ! Certes, on ne se souvient pas de la première fois où on a
marché ou parlé, même si les anciens (parents, grands-parents)
nous l’ont parfois raconté. Mais il y a des tas de premières fois
qui nous ont marqué : dans mon cas, la première crêpe que
j’ai fait cuire en 1952, mes
premières vacances chez ma tante en juillet-août 1952, la
première cueillette de mûres en septembre 1952 et les confitures qui en ont suivi, le
premier roman que j’ai lu (Delph le marin,
de Paul-Jacques Bonzon, 1955), ma
première histoire d'amour à même pas dix ans la même année, ma
première nuit d’internat en dortoir (1er octobre 1956), mes premiers grands
films d’adulte vus pendant l’année scolaire 1956-1957 (au cinéma
en ville La reine Margot,
avec Jeanne Moreau, le péplum L’Égyptien,
au ciné-club du lycée Les Nibelungen
de Fritz Lang ou Les visiteurs du soir
de Carné, entre autres), mes premiers matchs de foot à la télé
pendant la coupe du monde de 1958, la
première fois où j’ai chanté dans un chœur (été 1963), ma
première année loin des parents (1964-65), la première fois que
j’ai pris l’avion (1969), et d'autres premières fois plus "intimes", etc. Tout cela remonte, et bien
d’autres choses encore ; question : tout le monde est-il
comme moi, submergé par les réminiscences ?
Il
m’arrive de parler assez
souvent de mes films "anciens", et surtout de ceux vus pendant cette
fameuse année 1956-1957, où, pensionnaire au Lycée Victor Duruy de
Mont de Marsan, je découvrais le cinéma en ville (les jours de
pluie, les pions nous emmenaient au cinéma, ils choisissaient des
films à leur goût, qui parfois ne convenaient guère à des enfants
aussi jeunes que je l’étais, ainsi Les mauvaises rencontres d'Alexandre Astruc, que j'ai heureusement revu au Festival de La Rochelle en 2012) et au lycée, où un professeur
d’histoire organisait un ciné-club hebdomadaire. On regardait
dans un cas les films de l’année sortis en salle, et qui
arrivaient dans nos trois petites salles de projection, L’Étoile,
le Modern et le Royal. Dans
l’autre cas, on apprenait l’histoire du cinéma au travers des
grandes œuvres du patrimoine muet et parlant. Ça se passait le
mercredi soir dans une salle spéciale du Lycée, on était assis sur
des bancs, j’étais avec les petits (je devais mesurer dans les
1,25 m) au premier rang, j’entrais dans l’écran, je m’oubliais :
entre chaque bobine (il n’y avait qu’un seul projecteur), la
lumière se rallumait, un léger brouhaha s’installait, puis ça
s’éteignait de nouveau, et je replongeais dans le ravissement.
Mon
ami F., grand cinéphile, à qui j’ai souvent causé de tout ça,
m’a fait le grand plaisir de m’offrir pour mon anniversaire (avec
un peu d’avance) le DVD d’un film "invisible" que je n’avais jamais revu
depuis 1956 : Le démon des eaux troubles
(Hell and high water),
du grand Samuel Fuller. Il s’agit d’un film datant de la guerre
froide : un savant français (Victor
Francen) subodore qu’une grande puissance étrangère (la Chine ?) fait des essais nucléaires dans une petite île
du Pacifique Nord. Il disparaît, on croit qu’il a été enlevé
par les "rouges" et serait passé de l’autre côté du
"rideau de fer". En fait, il est embarqué dans une
opération américano-japonaise : un sous-marin commandé par un
vétéran de la guerre contre le Japon (Richard Widmark), doit suivre
un cargo parti de Chine pour rejoindre l’île en question. On est
alors en pleine guerre de Corée. Je n’en raconte pas davantage, il
ne s’agit pas d'un grand film, mais d’un bon suspense de type BD, avec une très belle interprétation,
de l’émotion, un brin d’amour.
Bien évidemment, ce film m’avait
laissé des traces, avec ses scènes sous la mer qui me fascinaient (même si mon ami A., plus terre à terre, m'affirmait, croyant que j'en perdrais l'émerveillement : "ils les ont tournées en piscine avec des maquettes"), et l’explosion
atomique finale. Je l’ai visionné en v.o., je le regarderai une
seconde fois en v.f. pour me remettre dans l’ambiance de l’époque
où, bien sûr, à Mont de Marsan, tous les films étaient projetés doublés
en français. J’ai d’ailleurs vu qu’une scène n’avait pas
été doublée à l’époque, et je suis très curieux de savoir
quelle scène avait pu être censurée pour la sortie du film en
France. Assez curieusement, l’actrice Bella Darvi joue dans ce
film, ainsi que dans L’Égyptien,
film que j’ai vu la même année (film que j'adore et revu de nombreuses fois, à
Paris en 1970, pendant mon année à l’École des bibliothèques dans une copie complètement décolorée,
puis à la télé en 1975,
puis quand il est sorti en
VHS au début des années 90
et en DVD dans les années 2000, je l’avais même emporté sur le
cargo en 2015) : je n’ai
jamais vu cette actrice
d’origine polonaise, qui eut une carrière brève, dans
d’autres films !
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