lundi 4 avril 2016

4 avril 2016 : ouvriers : "Comme des lions" et paysans : "Volta à terra"


Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
(Eugène Pottier, L'internationale)

Il n'y a pas tant de films que ça sur le monde ouvrier et encore moins sur le monde paysan. J'avoue que ça me désole un peu, parce que les affres des bourgeois (grands ou petits), ça commence à bien faire. Je viens donc ce samedi 2 avril de passer une journée cinéma "documentaire" à l'Utopia.
En premier lieu, j'ai vu Volta à terra, premier film de João Pedro Plácido, d’une grande beauté visuelle (cf mon ami berger de l'Ardèche : "Ce n'est pas parce que nous vivons dans la boue et au milieu des éléments qu'on n'a pas droit, nous paysans, y compris nos animaux, à de la beauté"), œuvre qui m'a rappelé les deux célèbres films de Rouquier, Farrebique et Biquefarre. Le film dresse le portrait de Daniel, un jeune paysan qui doit reprendre la ferme familiale. Il essaie de devenir un homme. Le film se déroule au rythme des saisons, et fait la part belle à la nature, aux animaux : ah ! ces vaches indociles qui ont toutes un prénom ! On est ici dans la quête d'un incertain bonheur, qui se reflète dans la lumière intérieure dégagée par les paysans, et aussi dans leur parole. 
 
Dans Uz, ce hameau des montagnes désertées du nord du Portugal, ne subsistent que quelques dizaines de paysans, non encore émigrés. Bien sûr, le jeune berger Daniel rêve de l’amour qui seul, lui permettrait d'accepter la rudesse des travaux des champs. Même si les paysages sont magnifiques (la moisson faite encore à la faucille), il n'est pas question pour le cinéaste d'enjoliver la campagne. C'est donc la vie de tous les jours dans toutes ses peines : tonte des moutons, tuerie du cochon, vaches à amener au pâturage, naissance des veaux, beaucoup de pluie aussi… Mais on trouve aussi des moments joyeux : la fête du village et les danses, un début de romance de Daniel avec une ancienne camarade d'école ou la rencontre insolite de son très jeune neveu émigré de quatre ans qui ne parle que français. La colère aussi : "C'est celui qui travaille le plus qui gagne le moins", proclame un paysan en pensant aux bureaucrates des ministères ou de Bruxelles. Pour moi qui suis originaire du milieu campagnard, j'ai trouvé ce film exceptionnel ! 
À noter, sur le monde paysan, le très beau film, de fiction cette fois, du Britannique Terence Davies, Sunset song, qui résonne comme un écho romanesque à ce documentaire.

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J'ai enchaîné sur Comme des Lions, qui raconte deux ans d’engagement féroce d'une partie des salariés de PSA Aulnay contre la fermeture de leur usine. Beaucoup sont immigrés ou enfants d’immigrés (47 nationalités !), certains sont des militants syndicaux. Ils mettent à jour les mensonges de la direction (ça n'a pas cessé depuis : on récompense le grand patron par un salaire et des primes démesurés parce qu'en augmentant le nombre de licenciements, il a augmenté les profits des actionnaires), les promesses sans garanties et qui ne seront pas tenues, la faiblesse de l'engagement de l’État. On voir le candidat Hollande en mars 2012 qui vient promettre aux ouvriers qu'on ne les laissera pas tomber, ensuite le ministre Montebourg vient plastronner à son tour. Bref, une partie des salariés se met en grève, seulement un cinquième de l'effectif, mais ils savent qu'ils se battent pour tous. Bien sûr, au bout de quatre mois, ils n’ont pas à proprement parler "gagné". L'usine a fermé, malgré les rodomontades de Montebourg. Mais les ouvriers ont gagné en moral, en fierté, ils ont pris des risques, gagné en expérience de combat. Et ce sont les grévistes (combatifs) qui vivent moins mal que les non-grévistes (résignés) les suites parfois tragiques de la fermeture de leur usine : chômage et reclassement difficile, dépression. 
 
Le film nous montre ces deux années de vie exceptionnelle, où la mobilisation a fait découvrir à certains l’intelligence du collectif, et la démocratie réelle, loin de la démocratie formelle, même si sans doute ça ne montre pas tout. Comme des Lions est un document essentiel au moment de la très large mobilisation contre la réforme du droit du travail. On y apprend la nécessité de l'action, la manière de gérer les discussions sur le comment lutter, comment trouver l'énergie qui convient, comment monter un comité de grève. La réalisatrice Françoise Davisse s’est immergée parmi les ouvriers pour donner à voir et à entendre ce qu'est un combat ouvrier. C'est un film qui galvanise, qui porte au débat, qui questionne.
Au moment où la direction de PSA a annoncé des profits exceptionnels pour l’année 2015 : 3,8 milliards d'euros de "free cash flow", et une augmentation substantielle (chaudement approuvée par le MEDEF) des gratifications du patron, les suppressions d'emploi se multiplient, notamment à l’usine de Poissy, là où justement plus de 600 salariés ex-Aulnay avaient pu soi-disant se reclasser après la fermeture de l’usine. Pendant deux ans, les grévistes d’Aulnay ont tenu tête au patronat. Ils ont proposé autre chose que de se laisser abattre sans réagir devant le couperet financier. On voit dans le film l'envers du décor : les cadres de PSA prêts à tout pour casser la grève (avant de se faire jeter à leur tour ?), le rôle néfaste du syndicat patronal chargé de désunir les ouvriers, le rôle tout aussi malsain de l’État et des médias à ses bottes : décrédibilisation par les télés des grévistes qualifiés de casseurs à grands coups de mensonges et d'images soigneusement choisies.
Le film explore aussi la lenteur du processus de négociation (en fait, le patronat n'en voulait pas et a retardé au maximum), d'où l'obligation de renégocier en permanence, la direction cherchant à ulcérer les grévistes et à les pousser à la faute. Par ailleurs, dans une grève, tout est affaire de communication. Et donc de langage, aussi bien dans les discussions internes, que face au patronat, aux médias, aux hommes politiques (maire d'Aulnay et député), aux fonctionnaires du Ministère du Travail qui adorent rester dans le flou. Les médias, eux, ne font que relayer les messages tout prêts de PSA. Le film donc donne au contraire une approche de la parole ouvrière en général inaudible, et il montre clairement la dignité des soi-disant casseurs. C'est passionnant, même si probablement très incomplet. Et peut-être un peu trop point de vue officiel de la CGT.

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Pour compléter ce double tableau ouvrier et paysan, je ne résiste pas à terminer sur cette citation d'Alain Badiou (introduction d'Au temps de l'anarchie, un théâtre de combat : 1880-1914, Séguier, 2001, trois volumes dans lesquels je découvre le théâtre de Louise Michel) qui nous rappelle la férocité de la grande bourgeoisie envers les paysans et les ouvriers :
"Comme on le sait depuis Thermidor au moins, la répression brute n’a jamais suffi aux bourgeois vainqueurs, et singulièrement aux féroces bourgeois français, qui ont à leur actif, en juin 48 et au moment de la Commune, les principaux massacres d’ouvriers de l’histoire ; avec la guerre de 14, un holocauste particulièrement absurde de jeunes paysans jetés sous le feu dans les fondrières ; ensuite les guerres coloniales les plus atroces, les capitulations devant l’envahisseur les plus honteuses, et, aujourd’hui, depuis au moins la fin des années soixante-dix, les dispositions intellectuelles les plus rétrogrades et les plus serviles au regard de l’ordre établi - celui de la finance, de la richesse ostentatoire, de la corruption et de l’humiliation de la pensée".


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