dimanche 24 avril 2016

24 avril 2016 : gai rossignol et merle moqueur



Il est temps que vous appreniez à écouter au lieu de toujours usurper la parole.
(Jean-Marie Adiaffi, La carte d’identité, Hatier, 1980)

Voici une quinzaine de passée, riche en événements et rencontres : outre les séances de cinéma dont je vous ai donné un aperçu, les visites à mon frère, la continuation du cycle Marguerite Duras avec Moderato cantabile lu par André Loncin (14 avril) et La Musica deuxième (15 avril), joué par Elsa Lardy et Frédéric d'Elia, l'hommage à Georges Bonnet, la belle séance d'atelier d'écriture à la Maison des femmes de Bordeaux (13 avril) sur le thème de la Commune de Paris (j'étais le seul homme), et mes lectures consacrées entre autres à la critique du pouvoir (Les chasses à l'homme de Grégoire Chamayou, La fabrique éd., 2010, et Les frères de Soledad de George Jackson, Gallimard, 1971, dont je rendrai compte dans de prochaines pages, et je vous garantis que ça ne va pas me faire devenir tendre envers nos gouvernants actuels !), ma petite balade à Nuit debout de Bordeaux en sortant de la Commune de Paris...
Bref, je suis remonté comme jamais. Effaré par les déclarations immodérées (je suis gentil) de nos responsables politiques et des charognards de la presse et des médias audio-visuels. Qu’ils ne soient pas capables de se rendre compte qu'en insultant toute une part de la population issue de l’esclavage et de la colonisation, ils renforcent sa stigmatisation. Pour plaisanter avec leurs discours, on peut dire qu'il se livrent à une "déchéance de rationalité", comme je l'ai lu quelque part. Cette élite privilégiée, complètement en dehors de la réalité, est prête à jeter de l'huile sur le feu pour alimenter les pulsions malsaines qui n'ont que trop tendance à surgir : haro sur les musulmans, les noirs, les migrants... et les pauvres, sans compte les jeunes, à qui la police fait la chasse, comme aux plus beaux jours de mai 68. Et ceci au moment où on réédite Mein Kampf

N'oublions pas que la violence des mots engendre la violence des gestes. Aragon ne pourrait plus aujourd'hui publier ses fameux vers : "Descendez les flics / Camarades / Descendez les flics" (poème Front rouge in Persécuté persécuteur, Éd. Surréalistes, 1931). Mais le mépris de l'État, la violence des forces de l'ordre (qui, probablement – on a bien connu ça en mai 68 et c'était déjà le cas à l'époque de Louise Michel – noyaute les groupes en jouant le rôle de provocateurs), cette incapacité de promouvoir la fraternité et l'égalité (bien au contraire, c'est plutôt que le meilleur – c'est-à-dire le plus retors, le plus salaud, gagne !), cette manière de ne concevoir la liberté que pour les classes dominantes (est-ce que nous pouvons, nous, dissimuler notre épargne aux Bahamas ou à Panama ?), les autres n'ayant qu'à la fermer, à s'exclure de l'éducation et du travail (par exemple, une jeune fille ou une femme qui aurait le malheur de vouloir se voiler), à accepter des salaires de misère ou, pire, à devenir serviteur de leur ordre : flics, matons ou soldatesque.
affiche de la campagne de l'ACAT contre les violences policières

Un récent reportage télévisé nous montrait les Bulgares organisant en toute illégalité des chasses à l'homme pour refouler les migrants venant de Turquie. Quand on voit les camps (?) de Calais, on n'a rien à répondre, puisqu'on ne fait pas mieux, qu'on ne sait plus accueillir et même, qu'on n'a plus le droit d'accueillir : "On retrouve un autre trait caractéristique de l'état de proscrit : l'interdiction de porter assistance. C'est le délit de solidarité" (dans Les chasses à l'homme). C'est terrifiant, on est revenu aux années 30, où on faisait la chasse aux étrangers. Il est vrai que ça s'est amélioré : maintenant, on fait aussi la chasse aux jeunes, aux pauvres (voir ces habitants du XVIe qui refusent l'implantation d'un centre d'accueil pour SDF). Franchement, je ne pensais pas voir ça de mon vivant. Il est temps que je m'en aille !

Allez, quelques citations dans des textes lus récemment pour se donner du courage ou pour se consoler :
"c’est un bien beau peuple, la seule chose qui l’intéresse c’est le fric que tu as, personne ne s’intéresse à autre chose, la dignité se mesure à la quantité de fric que tu possèdes, il n’y a pas d’autre valeur…" (Horacio Castellanos Moya, Le dégoût, trad. Robert Amutio, Les Allusifs, 2003)

"De toutes les religions qui ont affligé l‘homme (et ce sont les fléaux les plus terribles), le nationalisme me semble la plus monstrueuse et la plus féroce." (propos de Roger Fry, dans Virginia Woolf, La vie de Roger Fry, trad. Jean Pavans, Rivages, 2002)
"Didelin, lors de son procès, 10 janvier 1883 : « Eh bien oui, messieurs, j’ai préconisé la grève des conscrits ; pourquoi ? C’est bien simple, les prolétaires n’ont rien à défendre, ils n’ont aucun intérêt à aller se faire casser les os à la frontière ou ailleurs. Pourquoi donc se battraient-ils ? Pourquoi exposeraient-ils leur vie ? C’est aux riches, c’est à ceux qui ont du bien au soleil d’empêcher l’ennemi de le leur prendre. C’est vraiment assez qu’ils exploitent les travailleurs sans que les travailleurs aillent risquer de se faire tuer pour garantir à leurs exploiteurs la libre jouissance du fruit de leur exploitation." (Louise Michel, À travers la mort  : Mémoires inédits, 1886-1890, La découverte, 2015)

"Depuis les Grecs, l'Occident n'a jamais pu concevoir qu'une force ne s'exerce pas jusqu'aux limites de son pouvoir. L'Amérique est le lieu privilégié de ce pouvoir, la scène plus vaste qui pousse à l'extrême l'industrie, la guerre et la folie blanches." (Henry Bauchau, L'écriture à l'écoute, Actes sud, 2000)
"L’opinion publique est bien préparée à ce que toute violence, même minime pour se défendre, soit sévèrement réprimée... La seule pas réprimée, la violence patronale qui met des millions de travailleurs sur le carreau après licenciements économiques..." (Silien Larios, Féerie pour une autre grève, manuscrit)

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