dimanche 24 novembre 2013

24 novembre 2013 : Pourquoi ?


Commencer par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se préoccuper de soi.
(Martin Buber, Le chemin de l'homme)

J'ai été surpris d'entendre mes amis de Poitiers me dire : « La dernière fois que tu es venu chez nous [il y a un mois et demi], tu n'as parlé que de la mort ! » C'est possible : en effet, à ce moment-là, Igor poursuivait son agonie à l'hôpital, et j'allais lui rendre visite chaque après-midi, aux heures autorisées. Mais enfin, y a-t-il du mal à parler de la mort ? Ne fait-elle pas partie de la vie ? Ne faut-il pas s'y préparer (Montaigne : "Philosopher, c'est apprendre à mourir") ? Doit-on, vraiment, en faire un sujet tabou, à exclure de toute conversation ? Personnellement je ne le pense pas, et sans en faire un sujet privilégié de ma parole, je souhaite de tout mon cœur qu'on n'oublie pas – et je ne risque pas de l'oublier maintenant, où je suis, comme chantait Brassens, "cerné de près par les enterrements" – que plus nous avançons en âge, plus nous approchons de la fin. Et non seulement la mort m'accompagne, mais les morts aussi (Victor Hugo : "Les morts, ce sont les cœurs qui t'aimaient autrefois / C'est ton ange expiré ! c'est ton père et ta mère !") ; aussi, j'y pense souvent et, de temps en temps, probablement sans que je m'en rende compte, je dois en égrener le thème dans ma conversation.



 sagesse de l'arbre

Je dois avouer aussi que c'est devenu un sujet majeur de ma poésie – si tant est que ce soit de la poésie, ce que j'écris, disons donc de mon écriture. Je ne voudrais pas atteindre la fin de ma vie sans être capable de répondre à la question : « Pourquoi n'as-tu pas été Jean-Pierre Brèthes ? » Je me suis trop souvent efforcé de répondre, dans ma vie, à des questions du type : « Pourquoi ne deviendrais-tu pas un sportif émérite, un bibliothécaire génial, un poète transcendant, un mari parfait, un père étincelant, un ami sublime, etc... ? » Toutes questions qui ne sont pas sans intérêt, mais qui éloignent du vrai sujet, qui est : as-tu été toi-même ? As-tu vécu de ta manière à toi, sans copier servilement celle des autres, et sans être pour autant devenu ton but exclusif ? As-tu été l'orgueilleux qui n'a toujours pensé qu'à toi, ou bien as-tu fait preuve dans tes relations avec autrui, de l'humilité, de la modestie qui sont les tiennes ? Humilité et modestie qui cohabitent très bien, chez moi comme chez les autres, avec l'orgueil. Es-tu bien qui tu es ? N'as-tu pas été qu'un miroir que tu as promené le long du chemin et qui t'a renvoyé l'image que tu souhaitais que l'on voie de toi ?
"Car je suis allé jusqu'au sommet de la montagne. Et je ne m'inquiète plus. Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps. La longévité a son prix. Mais je ne m'en soucie guère maintenant", a dit Martin Luther King, la veille de son assassinat (cité dans Sylvie Germain, Magnus, Albin Michel, 2005). Et je me pose la question : suis-je allé jusqu'au sommet de ma montagne ? Peut-être justement, le fait que j'évoque souvent la mort, dans ma parole comme dans mes écrits, et cela sans tristesse aucune (comme me disait Claire, sourire aux lèvres, en janvier 2009, alors même qu'on visitait des appartements, car elle pensait à juste titre que je ne resterai pas dans notre maison : « J'ai bien vécu, je ne regrette rien ! Tu vivras aussi, tu feras pour le mieux. ») me montre que je suis en chemin, que je gravis des lacets et des escarpements...
Au lieu de consommer toujours davantage, de nous entourer d'objets de toutes sortes, de s'empiffrer d'excès de nourriture, de désirer sans cesse des choses nouvelles, pourquoi ne pas se poser cette simple question : « Pourquoi n'es-tu pas toi-même ? », et s'efforcer d'y apporter une réponse. À ce prix, nous n'avons pas à craindre la mort, nous pourrons la regarder en face.




 Zoulou, dans mon fauteuil, a répondu à la question



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