samedi 6 octobre 2012

6 octobre 2012 : prisonnières


Le pire dans l'isolement c'est quand il n'ouvre à aucune solitude.
(Patrick Chamoiseau, L'empreinte à Crusoé)


Je dois aller mieux puisque j'ai estimé que je pouvais m'absenter de chez moi deux heures pour aller au cinéma ! Et voir quel film ! Un film que n'aurait pas désavoué Victor Hugo, un film sur les misérables d'aujourd'hui et, parmi eux, les plus misérables, les femmes en prison et parmi elles, les encore plus misérables, les femmes enceintes ou avec bébé. Par mes fréquentes visites en prison, je connais l'horreur carcérale. Cependant, je n'avais encore jamais vu un film français de fiction reflétant avec autant de vigueur et d'authenticité la vie en prison, et dans une prison de femmes. Il y a certes le formidable documentaire de Stéphane Mercurio, À côté, que je recommande vivement.

On est saisi dès le début, empoigné par Ombline. On y voit une femme, à l'étroit dans une pièce, qui lit un album « L'arche de Noé » à son très petit enfant qu'elle enserre contre sa poitrine. Retour en arrière : Ombline est incarcérée enceinte et, jusqu'au dernier moment, doit partager une cellule avec deux autres détenues, heureusement, car ce sont elles qui ameutent les gardiennes, au moment où l'accouchement se précise. Mais il n'y a plus de médecin, et on est en week-end, il faudra attendre lundi pour être emmenée à l'hosto, estiment dans un premier temps les matonnes !!! Devant l'urgence, et le risque de mort, on finit quand même par appeler une ambulance et par la transporter, menottée (!), à l'hôpital. Ombline y accouche d'un garçon, qu'elle pourra garder dans sa cellule, à la « nursery » de la prison, jusqu'à l'âge de dix-huit mois, c'est la loi. Comme elle a été condamnée à trois ans pour avoir agressé un policier, le petit Lucas sera donc confié à une famille d'accueil en attendant sa sortie.
Ombline va devoir se battre contre les conditions pénitentiaires, tout autant que contre elle-même et ses démons intérieurs. Orpheline de mère, elle voit son père être mis en prison pour une longue détention quand elle a treize ans. Placée en foyer jusqu'à l'âge adulte, elle y rencontre José. Quand celui-ci, un petit trafiquant, est cerné par la police, et se jette du quatrième étage pour leur échapper (il meurt), elle pète un plomb et blesse un policier à l'arme blanche, les rendant responsables de la mort de son ami. Dans la nursery de la prison, elle découvre la solidarité de ces femmes encellulées avec bébé. Elle rencontre aussi la détermination bêtement administrative des surveillantes qui appliquent le règlement à la lettre et aussi la méchanceté de certaines, aussi bien que la bienveillance de l'une d'entre elles : tout n'est donc pas noir et blanc (ce qui m'a rappelé cette phrase de Simone Weil, citée par Pietro Citati, dans son Portrait de Simone Weil, in Portraits de femmes : "Lorsqu'un être humain, quel qu'il soit, dans n'importe quelles circonstances, me parle sans brutalité, je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression qu'il doit y avoir une erreur, et que l'erreur va sans doute malheureusement se dissiper").
Mais globalement, en prison, c'est l'inhumanité qui domine. Sans parler de la violence carcérale quand, une fois son bébé placé en famille d'accueil, elle retrouve une cellule normale et surpeuplée : elles sont à trois dans une cabine prévue pour deux, avec donc un matelas rajouté par terre pour elle. Elle retrouve aussi les cours de promenade, où la brutalité est reine. Ombline doit apprendre à se battre pour conserver sa dignité, préserver son avenir et sa chance de pouvoir récupérer son enfant à la sortie ; elle découvre que, comme l'écrit Alexandre Jollien, dans La construction de soi, "on ne naît pas libre, on le devient. Et se libérer procède d'un acte généreux, simple et exigeant. Sans rien nier, je peux, de proche en proche, m'émanciper pour cesser d'être l'esclave résigné des circonstances, le jouet de mes passions." Ce que parvient à réaliser Ombline, au fil d'un parcours difficile, mais qui la rend suffisamment forte pour affronter la sortie.
Les actrices sont extraordinaires, Mélanie Thierry en premier (déjà vue dans La princesse de Montpensier), et aussi Corinne Maserio, dans le rôle d'une détenue féroce, aussi impressionnante que dans Louise Wimmer. Un excellent premier film !

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