mercredi 24 octobre 2012

24 octobre 2012 : thérapie sociale


C'est en s'approchant des autres qu'on acquiert les rituels d'interaction nous permettant de coexister, c'est en apprenant à se servir des mots que l'on découvre l'outil de l'expression de soi autorisant la maîtrise de nos émotions et la visite du monde mental des autres.
(Boris Cyrulnik, Préface de Marcher pour s'en sortir)


Depuis le lundi 22 octobre, l'excellente émission de France culture Les pieds sur terre, propose à 13 h 30 un reportage intitulé « Ma longue marche » qui va se développer tous les lundis et mardis à cette heure jusqu'en janvier. Il s'agit d'une des marches initiées par l'Association Seuil, fondée par Bernard Ollivier, ancien journaliste et aussi marcheur (voir ses livres Longue marche, où il raconte en trois volumes son périple d'Istanbul jusqu'en Chine, où il explore la "faim, dans cette troisième vie [la retraite], de lenteurs et de silence", et développe l'idée que "la marche est porteuse de rêve" et Aventures en Loire où il suit à pied et en canoë tout le cours du fleuve). 
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L'idée de Bernard Ollivier, convaincu comme nous devrions tous l'être de l'échec des politiques répressives (malheureusement réclamées par l'opinion publique, ah ! cette dictature de la majorité) et surtout de la prison pour les mineurs (répétons-le, la prison est criminogène), est de proposer l'alternative d'une marche individuelle de près de 2000 km en pays étranger, longue de cent jours avec un accompagnateur adulte (et qui entre parenthèses coûte moins cher que cent jours de prison !). "Le projet Seuil recouvre pour le jeune plusieurs dimensions : […] s'éloigner, se mettre à distance de son milieu familial, social pendant les 3 mois de la marche. Se responsabiliser [gérer le budget alloué, participer aux tâches quotidiennes, cuisine, vaisselle, montage de la tente, lessive]. Acquérir et développer une autonomie. Poser quotidiennement des actes de re-mobilisation : activités concrètes, valorisantes, responsabilités dans la vie collective, avec transparence totale de ses actes. Le jeune remet ses repères habituels en question et commence à se restructurer. Réaliser un exploit sportif de haut niveau qui nécessite un mental exceptionnel, une volonté, une énergie jusque-là insoupçonnés. La marche va le révéler à lui-même, à sa famille, à ses proches, à ses éducateurs. En se déroulant dans un autre pays, la marche introduit de l'inter-culturalité, permet de découvrir une autre société, de rencontrer des marcheurs, des randonneurs venant d'horizons les plus divers, des valeurs nouvelles bousculant ses représentations. Ce projet ne peut fonctionner qu'en étroite coopération avec les éducateurs et les travailleurs sociaux et repose sur une adhésion de l'adolescent et non sur la contrainte. Le projet Seuil peut s'apparenter à un placement de type CER (Centre Educatif Renforcé) : c'est une prise en charge éducative renforcée qui est développée d'une manière itinérante, déambulatoire" ( cf le site web : http://www.assoseuil.org/).
Le reportage « Ma longue marche » va donc suivre le jeune Idane pendant sa pérégrination. C'est passionnant. Parce qu'on se rend compte en écoutant l'émission, comme à la lecture du livre Marcher pour s'en sortir (Éd. Érès), à quel point la réussite d'un tel projet repose sur le constat de l'accompagnement individualisé, ce que ces jeunes n'ont jamais eu, même à domicile. "L'adulte qui accompagne le jeune sur le chemin est à la fois un soutien, un guide, un objet sécurisant externe sur lequel s'appuyer, permettant ainsi au jeune d'expérimenter le monde réel et d'entrer dans l'espace social en toute sécurité", écrit la psychologue Mathilde Poline dans ce livre collectif. Elle rend compte du fait que le mode de fonctionnement actuel de notre société, engluée dans la vitesse (il n'y a qu'à regarder la télévision, les plans sont brefs, ultra-rapides, et ne permettent en aucun cas de réfléchir à ce que l'on voit ni même d'en prendre connaissance, chaque mini-information étant chassée par la précédente) et la compétition (gagner de l'argent le plus vite possible), peut être néfaste pour ceux qui sont fragiles et mal outillés pour y résister. "En prenant le temps d'avancer à vitesse humaine, le jeune oublie la performance, le culte du « mieux que », pour se diriger vers le mieux-être, voire le bien-être, et la connaissance de soi ainsi que des autres", ajoute-t-elle.
Le principe est en effet le suivant : "Pendant trois mois, ils effectuent autour de 25 km par jour, à pied, sac au dos, sans portable, sans console de jeu, sans musique [sans MP3]. Difficile austérité, mais plus exaltante sans doute que celle de la prison. Prix à payer pour un retour au lien social", note dans ce même ouvrage David Le Breton, anthropologue et sociologue. Car il s'agit bien avant tout de "rétablir le lien social [ce qui] exige de restaurer l'échange, c'est-à-dire de prendre le jeune dans son égale dignité et sa différence, non pour approuver cette dernière, mais pour la comprendre et éventuellement lui permettre une prise de distance avec ses routines de comportement, par exemple son agressivité, sa propension à voler ou à recourir à des drogues". Voilà, tout est dit là : ce livre excellent, mais dont je doute qu'il aura beaucoup de succès, hélas, démontre clairement que "la punition, sous la forme notamment de l'incarcération, n'a aucune valeur éducative, elle traduit un réflexe de défense d'une collectivité, mais elle ne lui apprend rien [au jeune délinquant], sinon à être plus rusé la prochaine fois pour ne pas se faire prendre", comme le souligne David Le Breton.
L'ouvrage nous propose aussi les témoignages d'accompagnateurs et de jeunes marcheurs, devenus des "héros, acteurs de leur propre réinsertion" et capables "d'élaborer des conduites constructives pour l'avenir". Marcher pour s'en sortir est un livre fondamental, une vraie « Bible », que toute personne s'occupant de la jeunesse, tout éducateur devraient posséder. Ils y trouveraient matière à réfléchir sur la façon d'aborder les jeunes en général, et les jeunes en difficulté en particulier. Bien des parents pourraient s'en inspirer aussi, ce qui leur éviterait bien des dérives et des déboires. Mais il est tellement plus facile de laisser les enfants s'abrutir devant la télévision et les jeux vidéo !

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