Magie du cinéma. Et surtout d’un film totalement inconnu ! Plaisir de la trouvaille, donc. La semaine dernière, je suis allé voir un délicieux film argentin, El cielito, réalisé par une femme, Maria Victoria Menis. Un mélange du roman de Waltari, Un inconnu vint à la ferme, lu à Noël dernier, et du film de Fellini, La strada, que je reverrai bien avec plaisir.
Félix, métis d’Indien, jeune vagabond, arrive dans un village perdu. A la gare, il rencontre Roberto, ouvrier au chômage, qui lui offre, en échange du gîte et du couvert, de travailler dans la ferme qu’exploite difficilement sa jeune femme Mercedes. Roberto, qui a hérité de la ferme, ne se sent aucun goût pour le travail de la terre. Il est devenu alcoolique, brutalise sa femme et se désintéresse totalement de leur bébé Chango.
Félix tombe littéralement amoureux de Chango qui, en quelque sorte, lui ouvre le cœur. Lui qui n’a pas connu ses parents, qui n’a plus de famille depuis la mort de sa grand-mère, va reporter son trop plein d’affection (celle qu’il a reçue de sa grand-mère, ce que montrent de brefs flash backs) sur ce nourrisson. Lui, solitaire, taciturne, il se met à parler en présence de Chango, lui fait des sourires, l’amuse, le berce, le fait manger.
Peu à peu, il comprend que le couple ne s’entend plus, Mercedes a le regard éternellement triste, elle subit le violence de son mari, elle espère peut-être que Félix va l’aimer, et finalement elle sombre dans le désespoir et disparaît définitivement, laissant les deux hommes et Chango. Roberto, de plus en plus enfermé dans sa solitude et dans sa violence – l’arrivée de Félix, jeune et doux, a représenté un reproche permanent qu’il voyait dans les regards de Mercedes – ne peut plus assumer la paternité, et sombre dans l’ivrognerie.
Félix décide donc de partir lui aussi, en emmenant l’enfant, « son » enfant, pour le sauver de ce désastre. Chango occupe la place centrale du film : c’est lui El cielito, le petit ciel, l’espoir de peut-être vivre heureux. Il n’a pas réussi à transformer Roberto (une sorte de brute à la Zampano) en un mari et père attentionné, ni à enlever la tristesse de Mercedes devant le naufrage de sa vie. Mais Chango magnifie le regard de Félix. Comme le Matto du film de Fellini transfigure Gelsomina, Chango, par son innocence, fait prendre conscience à Félix de la nécessaire compassion, de l’amour.
Affiche du film
Le monde est dur à ces humbles. La campagne est pourtant filmée ici dans toute sa splendeur par des plans fixes d’une grande intensité lumineuse. Mais cette beauté contraste avec la misère et la violence des hommes. La fin du film se passe dans la grande ville où Félix et Chango finissent par aboutir : là, la lumière est plus froide, plus artificielle, agressive. Et la vie y est encore plus dure pour les pauvres, malgré la solidarité des laissés pour compte. Félix se fait dévaliser par des petites frappes…
Je n’ai jamais vu un film où l’attachement entre deux êtres est montré avec une telle pureté, peut-être Le Kid, de Charlie Chaplin ? Tout passe ici par les regards, plusieurs scènes montrent les personnages en train de s’observer. Les adultes sont souvent éloignés les uns des autres, chacun à un bout de l’écran ou dans la profondeur de champ, Chango et Félix au contraire tout proches, comme pour affirmer leur proximité immédiate, la chaleur qui les lie instantanément. Dès leur première rencontre. Et qui nous lie à eux, indéfectiblement. Je ne raconte pas la fin. Découvrez-la à l’occasion, au cinéma ou lors d’un futur passage télé, probablement sur Arte. Mais attention, ce n’est pas une bluette, simplement un beau film.
Et propre à nous réconcilier avec la vie. Si la communication peut passer entre un nourrisson et un jeune homme qui lui est totalement étranger, voilà qui montre bien que le silence entre les hommes n’est pas une fatalité.
Et je m’acharnerai à rompre ce silence par les prochaines lectures. Ma randonnée démarrera le 25 mars, et sera précédée le 20 mars par des lectures en ville, à 15 h au CRIJ (Centre régional Information Jeunesse) et à 18 h à la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), pour la semaine de la langue française. Mes lectures porteront sur les dix mots sélectionnés pour cette semaine : tact, apprivoiser, passerelle, s’attabler, visage, toi, boussole, palabre, rhizome, jubilatoire. J’ai même réussi à composer un sonnet intégrant ces dix mots que j’ai proposé au jeu-concours organisé à cette occasion. Oserai-je le lire ? Je verrai.
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