mardi 14 octobre 2025

14 octobre 2025 : la chanson du mois, Rezvani

 

Tant que tu ne m’oublieras pas, je vivrai dans ton cœur.

(Toshikazu, Kawaguchi, Le café où vivent les souvenirs, trad. Géraldine Oudin, Albin Michel, 2023)

 

                 D'avoir revu Mathieu le week-end dernier, et du fait que Mélanie et lui attendent un bébé, m'a rappelé le souvenir de la Guadeloupe et de sa toute petite enfance, et de la joie que nous avions, Claire et moi, de vivre cette découverte d'un petit être humain qui ne comptait que sur nous deux pour l'aimer, le nourrir, l'éveiller, le faire grandir, lui apprendre à marcher, à jouer, à sourire, à découvrir le monde, à s'émerveiller... Et évidemment, je sentais Claire toujours présente, à nos côtés, lors de notre promenade le long du Rhône. 

                Et je me suis souvenu qu'en 2005, pour les 85 ans de ma mère, nous avions chanté ensemble Les mots de rien, la chanson de Serge Rezvani que je propose ce mois-ci. Pour ceux qui ne connaissent pas Rezvani, il est originaire d'Iran, et c'est un écrivain que j'ai suivi dans ma carrière de bibliothécaire, un artiste aussi et un auteur-compositeur que j'ai connu depuis le beau film de Truffaut, Jules et Jim, où Jeanne Moreau chante sa chanson Le tourbillon. Mais Rezvani chante aussi lui-même ses œuvres, très différemment de Jeanne Moreau. En souvenir de Claire, je me suis offert il y a une dizaine d'années un coffret de toutes ses chansons, paru chez Actes sud.

 

Les mots de rien (Rezvani)


L’amour s’exprime avec des mots comme ça
Des mots de tous les jours
Des mots tout gris des petits mots de rien
Des mots de rien du tout

On dit au saut du lit :
« Bonjour, il fait beau, as-tu bien dormi ? »
Ces mots si tendres au tendre écho
Comme un pur reflet dans l’eau

Ces mots de moins que rien
Respirés par toi tissent mille liens
Ces mots de moins que rien du tout
Échangés de nous à nous

Ces mots qui viennent et coulent au fil des jours
Ces mots qui tournent court
Tous ces mots qui ne pèsent pas bien lourd
Pour moi sont lourds d’amour

On se dit à minuit :
« – T’as les plis aux yeux dans l’coin quand tu ris
– Quand j’ris, mais oui mais oui chéri
Et toi quand tu me souris »

Ces mots de moins que rien
Respirés par toi tissent mille liens
Ces mots de moins que rien du tout
Échangés de nous à nous

L’amour s’exprime avec des mots tout chauds
Des petits mots bien clos
Des mots petits petits tellement petits
Qu’ils ne riment que pour moi
Qu’ils ne riment que pour toi
Qu’ils ne riment que pour nous

https://www.youtube.com/watch?v=VEMuVAIteDY


 

dimanche 12 octobre 2025

12 octobre 2025 : la violence de l'ordre établi

Le crime devient payant

Les criminels sont prospères

Le crime s’appelle vertu

Le juste obéit au bandit

La force prime le droit

La terreur fait loi 

(Sénèque, Hercule furieux, trad. Florence Dupont, Actes sud, 2012)

 


 

                     Je viens de passer quelques jours très cinéphiles grâce au Festival International du Film de Bordeaux. J'y ai vu sept ou huit films intéressants, des fictions et des documentaires venant de divers pays, souvent des films en avant-première et qui sortiront ou pas dans les prochains mois. Car un certain nombre de films de festivals de cinéma sont à la recherche de distributeurs.

                    Je parlerai de trois d'entre eux seulement aujourd'hui.

                    Le film qui m'a touché le plus profondément est un film d'Alice Douard, Des preuves d'amour. Les réalisatrices étaient en force cette année. Le film raconte l'histoire de deux femmes qui se sont mariées entre elles. Nadia attend un enfant par PMA. Céline est très attentive à sa compagne ; mais, placée sous le regard des autres (familles, ami.e.s, docteurs, juristes, collègues, etc.) elle heurte à la difficulté d'exister dans la parentalité, d'être mère elle aussi elle aussi. Il faut beaucoup d'amour pour résister à la pression, voire à la violence de l'environnement sociétal peu averti de cette situation nouvelle. C'est un film qui m'a bouleversé par l'amplitude son humanité, d'autant plus que je connais dans ma famille proche un état de choses identique. Si le film pouvait faire évoluer les mentalités, j'en serais ravi, mais je crains que sa diffusion ne soit que trop discrète. J'irai le revoir à sa sortie.

                    Pendant plusieurs années, Laurie Lassalle a filmé la Z.A.D. de Notre Dame des Landes depuis l'abandon du projet d'aéroport,  Dans son film Forêt rouge, on voit donc ce laboratoire de vie, se transformer peu à peu en un terrain de lutte pour sauvegarder les acquis démocratiques des années précédentes : l'occupation d'une forêt en construisant un foyer de vie qui bouscule les conventions sociales et culturelles. C'est que les occupants cherchent à proposer une autre vision de l'avenir, plus écologique, loin des folies commerciales, un lieu convivial, en autogestion permanente. Au fil des saisons et des années, ils ont construit, ils ont cultivé, ils on enchanté et bouleversé le territoire, pour en faire une utopie concrète. Et voilà qu'ils sont rattrapés par la violence des forces de l'ordre prêtes à détruire, à, transformer leur refuge en un champ de bataille d'une fureur insensée. Cette répression de l'État m'a fait penser à la violence institutionnalisée d' Israël vis-à-vie des Palestiniens. Mais les zadistes font preuve (comme les Palestiniens) d'une, force d’âme pour résister au mépris et aux vexations institutionnelles,garder assez d’énergie pour ne pas avoir peur et pour reconstruire quand les soi-disant forces de l'ordre ont tout détruit, pour tenir face aux persécuteurs. La résistance, l 'obstination, la dignité de ces femmes et de ces hommes font plaisir. Si tous les êtres humains leur ressemblaient, au lieu de s'engluer dans notre société de consommation et de loisirs imbéciles !

 


                    Quant à L'agent secret, le film brésilien de Kleber Mendonça Filho, il suit les traces d'un universitaire menacé par la dictature des années 70 pour des raisons qu'on ne saisit pas tout de suite. C'est un thriller plein de fausses pistes, de situations tendues, oppressantes, qui ne cache rien de la complexité des choses, des labyrinthes permanents de  de la bureaucratie dictatoriale, des difficultés de vivre plus ou moins cachés, dissimulés sous de faux noms. Autant dire que le récit n'est pas linéaire. Pas question de s'endormir si on ne veut pas perdre le fil dans l'enchevêtrement des destinées;. Un film magistral que je reverrai volontiers quand il sortira.

                    Sur ce, en fin de semaine, je file vers Montpelleier assister à mon quinzième Cinémed, Festival de cinéma méditerranéen, où j'espère voir quelques bons films des pays du pourtour de la Méditerranée, quelques amis aussi et de la famille.


             


 

 

 


                        

jeudi 9 octobre 2025

9 septembre 2025 : le poème du mois : Lamartine

Ce n’était pas le lieu qui comptait, mais la personne qui le marquait de son empreinte.

(Ewald Arenz, Le parfum des poires anciennes, trad ; Dominique Audiard, Albin Michel, 2023)

 

le château de Prangins (source : wikipedia)

                    Je viens de  passer deux très belles journées à Ferney-Voltaire  pour voir Mathieu et Mélanie qui y attendent un bébé. On s'est promené le long du Rhône, sur les bords du lac Léman, on a visité à Prangins '(canton de Vaud) le château de Prangins, château du XVIIIème sièclee, son jardin potager et l'exposition "Tours du monde" qui y était montrée. Heureusement, j'ai utilisé le train au retour, et - hasard d'un détournement parChambéry, à la suite de travaux sur la voie et de découvertes d'un obus sur le chantier -, j'ai longé le lac du Bourget qui, si je ne me trompe, a inspiré à Lamartine le beau poème qui suit  et que je vous offre. Il fut un temps où je le connaissais par cœur, mais il faut que je le réapprenne !     

lac du Bourget (source : wikipedia)
         

                            Le lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
                Jeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
                Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
                Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
                Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
                Laissa tomber ces mots :

" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
                Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
                Des plus beaux de nos jours !

" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
                Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
                Oubliez les heureux.

" Mais je demande en vain quelques moments encore,
                Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
                Va dissiper la nuit.

" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
                Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
                Il coule, et nous passons ! "

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
                Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
                Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
                Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
                Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
                Qui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphirr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
                De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
                Tout dise : Ils ont aimé !

 

                        Lamartine            

 

jeudi 2 octobre 2025

2 octobre 2025 : la surbouffe

 

Qui sont les miens ? Les miens : ceux qui mangent mal, dorment mal, ceux qui n’ont rien.

(Eduardo Galeano, La chanson que nous chantons, trad. Régine Mellac et Annie Morvan, Albin Michel, 1977)

 

                    Je ne sais pas si vous avez remarqué : les restaurants n'ont jamais été aussi nombreux, les terrasses de beaucoup d'entre eux aussi bondées. Je sais que ça va de pair avec ce qu'on appelle aujourd'hui le surtourisme, avec également notre société de riches (et de moins riches) qui se complaisent dans la surconsommation. Et pourtant, l'inégalité alimentaire est la pire des inégalités. Un pourcentage important de la population mondiale  est littéralement affamée, et parfois volontairement, comme à Gaza en ce moment. Au point qu'un poète palestinien a pu comparer la guerre meurtrière de Gaza à la guerre de Troie, et l'arrivée des camions de vivres venus d’Égypte au "cheval de Troie" :

L’Égypte t’a enfin apporté plusieurs chevaux de Troie / Hulule de joie / car les chevaux, à Dieu ne plaise ! / Ne sont pas remplis de soldats / juste de vivres  

(Gaza, y a-t-il une vie après la mort ? Anthologie de la poésie gazaouie d’aujourd’hui, trad. Abdellatif Laâbi, Points, 2025)

                     Je suis affolé par l'abondance de victuailles qui nous entouraient cette année à la Fête de l'Humanité. J'ai été frappé par le nombre de stands qui proposaient de la nourriture, qui m'ont paru nettement plus nombreux que ceux qui offraient une autre vision de la politique, de la solidarité, des changements à effectuer, des débats et des discussions sur le comment vivre mieux, avec davantage d'égalité et de fraternité. À croire que désormais le militantisme n'existe plus. Qu'on ne veut pas d'une société plus juste, plus égalitaire, plus fraternelle. On s'empiffre donc, dès qu'on peut, sans doute pour oublier, et on ne sort plus de cette surconsommation alimentaire effrénée. Quitte à s'endetter et, avec les caisses automatiques et le pesage qui nous est confié, à tricher sur les prix et donc à voler.

                    J'avoue que ça me donne envie d'apprendre à jeûner, il y a même des stages pour ça. Je ne comprends pas cette hystérie de mangeaille, au point que quand on revient de voyage, la première question qu'on te pose, c'est "qu'est-ce que t'as mangé de bon ?" Si je réponds : "j'ai vécu avec les autochtones, c'est un pays très pauvre, (ce qui fut le cas de mes voyages à Cuba ou à Madagascar), on mange ce qu'il y a et en quantité mesurée, et ça ne m'a nullement gêné !" La conclusion que mes questionneurs en tirent, c'est : "Je suis pas prêt d'aller dans ces pays".

                    Pourtant, je sais que l'art culinaire existe, même dans un pays pauvre. Mais voilà, je n'ai pas envie de manger mieux ni davantage que les gens du pays en question. Pendant tous mes voyages en cargo, j'ai été le seul (avec peut-être Janeta, la Hollandaise du trajet vers le Pérou) à ne pas me plaindre des repas. J'ai même demandé une fois au cuisinier de me servir le menu qu'il destinait aux matelots philippins, qui avaient leur propre salle à manger, pour comparer. Je savais que je ne voyageais pas dans un paquebot avec une nourriture raffinée pour contenter les richards qui peuvent s'octroyer ce genre de voyage.

                    Et aujourd'hui qu'on parle de guerres (il y en a partout dans le monde), de famine organisée, on voudrait encore que je me goberge. Eh bien, non ! Jésus disait, reprenant une parole de l'Ancien Testament : "l'homme ne vit pas de pain seulement". Aujourd'hui, le message du Christ est largement oublié, plus personne ne le cite. De même, cette valeur essentielle qu'est le silence terrifie la grande majorité des gens, plongés dans le bruit des écouteurs, les conversations téléphoniques incessantes (j'ai entendu l'autre jour un petit garçon, dans la rue qui implorait sa mère : "Eh, maman, s’il te plaît, est-ce que tu peux arrêter d’appeler quelqu’un au téléphone ?"), les télévisions tonitruantes...

 

                    Bon, je ne vais pas refaire le monde, mais empêchons les grands de ce monde d'affamer, de piller, de bombarder, de détruire, et revenons au silence bienfaiteur, à la frugalité heureuse, à la douceur de vivre, à la paix satisfaisante, au paradis en somme !



mercredi 1 octobre 2025

1er octobre 2025 : réenchanter la mort

nous qui ne savons plus ce qu’est la mort somptueuse, nous qui cachons la mort, qui la taisons, l’évacuons au plus vite comme une affaire gênante, nous pour qui la bonne mort doit être solitaire, rapide, discrète

(Georges Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Gallimard, 1986)


                    La ville de Bordeaux a accueilli le 2ème Contre-salon des vieilles et des vieux du 26 au 28 septembre dernier, organisé par le CNAV (Conseil National Autoproclamé de le Vieillesse). L'idée est de "ne rien vendre, partager simplement des expériences, des bouts de savoir, histoire de prendre en main notre vieillesse et de ne pas laisser des experts parler en notre nom", ainsi que le proclame la devise du CNAV, "RIEN POUR LES VIEUX SANS LES VIEUX". Des expositions, des assemblées plénières, des ateliers, des animations artistiques (musique, danse, théâtre, lectures), des conférences faisaient partie d'un programme très chargé. Il y avait du monde et ce fut un grand succès. 

                    Parmi les thèmes abordés, projets inter-générationnels, habitat partagé pour seniors, la vieillesse des minorités, la place des vieux dans la cité, les vieux et la transition écologique, la transmission, la représentation des vieux, la grande dépendance, les coopératives d'habitants, que pense-t-on des vieux ?, la précarité, apprivoiser la mort, l'isolement, le corps, l'accès à la culture, l'accès aux droits, les EHPAD, la retraite, le sens de la vie, etc... C'est dire la variété des échanges qui entraînait qu'il y avait quatre ateliers en même temps dans des lieux différentes. Impossible donc de participer partout. Il fallait choisir.

                Pour ma part, je n'y suis allé qu'un après-midi et j'ai pu assister à l'atelier "Le sens de la vie" où les intervenants avaient interviewé un certain nombre de vieilles et de vieux pour leur demander comment ils avaient eu l'impression d'avoir réussi à donner un sens à leur vie. C'était impressionnant. Puis j'ai enchaîné sur les conférences "comment apprivoiser la mort aujourd'hui". Dans un monde où la mort est souvent médicalisée et masquée, voire tabou, les intervenants ont parlé de se préparer à la mort, d'en parler (les fameux cafés mortels - comme celui où j'ai participé au mois d'avril dernier où on discute de la mort, de la relation qu'on a avec elle et des derniers moments vécus avec ceux ou celles qui sont parti.e.s, les festivals de la mort, oui oui ça existe), de l'euthanasie et du suicide assisté, etc. 

                    Et je dois dire que j'en suis sorti revigoré. Oui, on peut et on doit parler de sa propre mort, sans en avoir peur, on peut s'y préparer peu à peu, penser à "ses" morts sans attendre un prétendu "jour des morts" : pour ma part, mes morts sont surtout ma grand-mère maternelle, celle qui vivait chez nous et que j'ai donc côtoyée intimement pendant l'enfance et l'adolescence, mon frère aîné Michel qui m'a tant protégé dans ma jeunesse, ma femme Claire qui m'a si efficacement préparé à sa disparition, quelques-uns de mes amis, Igor, Georges, Odile, que j'ai accompagnés jusqu'au bout, quelques autres encore...

                    Comme m'avait enseigné ma grand-mère, tant qu'on pense encore à eux, nos morts gardent une place dans notre cœur. Ils vivent en nous. Ainsi, quand je dois prendre une décision importante, je me dis toujours : "Qu'aurait fait ma grand-mère ?", et elle me dicte encore une réponse. Pendant mes voyages en cargo, Claire m'a accompagné, elle dont le dernière phrase audible fut : "le voyage en cargo, il faut que tu le fasses, pour moi". J'en ai fait quatre, en 2010, 2013, 2015, 2019-2020, et elle fut là, qui veillait sur moi sur chacun des cargos. Chaque fois que j'écris un poème, mes amis poètes, Georges et Odile, sont là aussi, et je sais instantanément, rien qu'en pensant à eux, si ce que j'ai écrit est bon ou mauvais. Quant à Igor, que j'ai assez peu connu, les trois dernières années de sa vie seulement de 2010 à 2013, j'ai eu l'heureuse idée de l'emmener à Venise avec moi en août 2012 : je ne savais pas qu'il était au bout du rouleau, mais mon invitation a été pour lui une bouffée d'air et un grand moment, comme me l'ont affirmé ses parents le jour de l'enterrement.

                    Maintenant, je suis apaisé, Claire m'a fait apprivoiser la mort, je n'ai pas peur, ni de la maladie, ni de la douleur, ni des derniers moments. J'ai bien et longtemps vécu. Je sais que je laisserai des traces dans les cœurs de celles et ceux que j'ai aimés. Et ma vie va continuer, simple et tranquille, comme j'ai toujours vécu, dans le partage, la solidarité et le souci des autres.