vendredi 5 janvier 2024

5 janvier 2024 : un poème pour la Palestine (le poème du mois)

 

Résistants, guérilleros et « terroristes » n’ont ni hélicoptères, ni drones, ni satellites d’observation. Ce n’est pas le ciel leur cousin, mais le sous-sol. Ils sont mariés avec le tunnel, la tanière et ses galeries souterraines.

(Régis Debray, Éloge de la frontière, Gallimard, 2010)



Je ne sais plus que dire devant la destruction meurtrière de Gaza, ni devant les exactions quotidiennes et meurtrières aussi en Cisjordanie ! Autrefois, la colonisation se passait sans qu’on en sache quoi que ce soit, tant les distances et le manque d’informations mettaient sous le boisseau ces mêmes exactions et destructions physiques et morales des peuples sous le joug. Mais aujourd’hui on sait que les peuples sans terre n’existent pas, sauf quand ils sont morts, selon la célèbre formule des États-uniens : « le bon Indien est un Indien mort ». Je vous livre ce poème et ce dessin pour la Palestine.

 

Il est une terre

au bord d’une mer calme

où les femmes et les enfants promènent leurs corps de noyés

emportés au large de la ville

par un tsunami de bombes qui propulsent dans le ciel

et à l’horizon des rues

immeubles et écoles, églises et hôpitaux en dessinant

d’immenses vagues grises aux reflets d’écume sang et or

mixant la terre au feu et la chair au béton


Il est une terre

que même la pluie ignore

où les mères qui dorment avec leurs enfants serrés

dans leurs bras de rivière d’épices

et blottis contre leurs cœurs tumultueux comme la Besor

ont les membres arrachés de leurs rêves

sous la déflagration de leurs poitrines

écrasées dans le mille-feuille de la nuit effondrée

par le déluge de feu indistinct

de l’armée la plus morale du monde


Il est une terre

trahie par les promesses du soleil

où les femmes apaisent de leurs mains de menthe

leurs enfants brûlés vifs

par la caresse envenimée du phosphore blanc tombé du ciel

comme une malédiction divine sur leur peau de miel

et où elles consolent de leurs mains d’onguents

les moignons encore rougeoyants de la chair de leur chair

amputée court de leur innocence

comme un crime de guerre sur le grand corps de l’Humanité


Il est une terre

brisée par la lune des vengeances

où les mères implorent leurs enfants

de ne plus offrir à l’ogre intifada la colère juste du ghetto

de leurs cœurs assoiffés de liberté

de ne plus jeter leur sac de peau et d’osselets gorgé de rage

à la face de l’occupant

de rester près d’elles à jouer à des jeux sages

sans fronde

ni balle dans la tête au bout de l’avenue du jour


Il est une terre

arasée par la haine coloniale

où les femmes pleurent chaque matin les corps

de leurs enfants calmes

alignés comme des offrandes drapées de lumière

sur l’autel de la cour de l’hôpital

que les officines inquisitrices

viennent encore tourmenter jusque dans la tombe

en discutaillant le chiffre exact

du décompte de l’horreur


Il est une terre

barbelée d’oubli occidental

où les mères emmurées dans leur prison de silence et d’azur

voient des bulldozers calmes

ensevelir vivants les ombres allongées

de leurs hommes blessés et de leurs enfants meurtris

dans des charniers bientôt putréfiés par la rancœur

que leurs cris étouffés feront résonner

pour des siècles

et des siècles


Il est une terre

abandonnée des Nations

où les femmes, les enfants et les hommes

n’ont plus à manger et à boire que la poussière du chemin d’un

nouvel exode

sur lequel le corps martyrisé de tout un peuple avance digne

mais affaibli par les stigmates d’un nouveau génocide

que la chair, le sang, les balles et les missiles

gravent au ciel indélébile de la mémoire humaine

sous un nouveau nom

Palestine

Laurent Thinès

Et le dessin de Karak



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