jeudi 5 mars 2020

5 mars 2020 : la Désirade ou les plaisirs de l'enfance


Pourquoi ai-je cédé à la tentation de ce voyage ? Ne savais-je pas que je me retrouverais ici, comme partout, non comme j’étais en un temps lointain, mais tel que je suis ?
(Édouard Rod, La course à la mort, Frinzine, 1885)

le menu d'accueil chez ma logeuse

Maintenant que le retour approche, tentons un petit bilan de mon séjour en Guadeloupe, le plus long que j’ai fait depuis mes années de travail 1981-1984. Tant en 2010 qu’en 2017, je n’y étais venu que pour trois semaines. Cette fois-ci, deux mois entiers. J’ai donc pu observer un peu plus les modifications de l’île (des îles) sur les plans géographique, économique, culturel et humain. Comme, en dehors du passage de mes enfants, je n’ai pas loué de véhicule, j’ai fait beaucoup de marche à pied, j’ai fait du stop, j’ai pris le bus, et le reste du temps, j’ai été véhiculé par mes amis. Mais le fait d’avoir été souvent en solo, d’avoir appris à la Désirade à dire « Bonjour » ou « ça va » à presque tout le monde, d’avoir noué la conversation en faisant du stop par exemple et parfois dans les bus, m’a rapproché un peu des autochtones : qu'aurais-je fait dans une voiture, tout seul ?





Mon gîte est à Baie-Mahault
à 7 km de Beauséjour













ruines de la chapelle de la léproserie




Alors, comment dire ? Je vais scinder mon bref exposé en plusieurs parties, les autres paraîtront sans doute à mon retour en France.





dans la chapelle des marins-pêcheurs





1. La Désirade






le cactus "tête à l'anglais" près de la source





 


J’ai donc passé mes trois premières semaines à la Désirade. Cette île que j’avais découverte en 2017 – j’avais demandé à Yvon (mon ex-collègue, décédé en 2018) et à sa femme de me proposer un séjour de trois jours là-bas, que j’avais trouvé trop court – m’a enthousiasmé ; c’est encore un endroit peu fréquenté : la majorité des visiteurs n’y viennent que pour une journée et se disent « c’est bien assez ». Pour ma part, même trois semaines m’ont paru trop courtes. Logé chez l’habitant (en l’occurrence, une habitante, Louise, que je n’hésite pas à appeler « la bonne Louise », en référence à Louise Michel), j’ai découvert une vie rustique, loin de tout. Pas de panneaux publicitaires (comme ça fait du bien !). Une seule route et quelques petites rues ou routes perpendiculaires. Une population clairsemée.

un arbre tordu par le vent
 
Une île de 2 km de large sur 11 de long, forcément elle est à échelle humaine. Les habitants sont chaleureux, disent systématiquement bonjour, les automobilistes ne font pas poireauter les auto-stoppeurs et font attention aux piétons, chacun est prêt à rendre service, à vous expliquer le chemin, comment fonctionne la douche de la source. Car la vie est austère : ici, pas de boîtes de nuit ni de cinéma, les cafés sont rares, pas de boutiques affriolantes pour les touristes. Il faut apprendre à vivre avec les coupures d’eau (15 jours sans eau sur les 21 que j’y ai passés), à se coucher avec la nuit, à se lever de bon matin, car ce sont les seules heures presque « fraîches », à s’occuper sans radio ni journaux, sans télévision ni internet, déconnecté : pour moi, ce fut un bonheur inouï. J’y ai redécouvert la marche à pied, j’ai randonné sur le chemin des crêtes, sur les côtes rocheuses, à la découverte des criques sauvages, des bernard-l’hermites, des agoutis et des iguanes… Des retraités français, québécois et européens apprécient cette quiétude et viennent y passer tout l’hiver. J’ai découvert un prêtre exceptionnel, une très belle chorale paroissiale et la Messe des pêcheurs dans la petite chapelle près de mon gîte fut un enchantement.

la douche rustique en plein air que j'ai utilisée les jours sans eau

J’ai fait connaissance de marins-pêcheurs, d’artisans locaux, de gens simples, des touristes au long cours aussi, ainsi que des visiteurs de plus courte durée (une semaine ou un jour), des quelques randonneurs à pied comme moi, d’un écrivain d’origine belge qui a épousé une Guadeloupéenne et qui tient un petit bistrot-restaurant et des gîtes, des cyclistes du samedi ou du dimanche, des coureurs à pied ; enfin la marche à pied comme l’auto-stop favorisent la rencontre et le dialogue. Si mon état de santé le permet, je crois que j’y reviendrai faire retraite un prochain hiver, loin du monde devenu fou.

les iguanes de sortie près d'un carbet
la nuit, ils dorment dans la charpente du carbet

Et la solitude sur cette île battue par les vents, au paysage aride et qui peut paraître désolé, loin de m’être apparue amère ou attristante, m’a semble ouvrir la porte du ciel. Certes, je suis d’un caractère solitaire, et je venais là précisément pour ça. Pour méditer, pour lire, pour écrire, pour dire, comme Victor Hugo : "J'entends le vent dans l'air, la mer sur le récif" ou bien "Où donc s'en sont allés mes jours évanouis ?", pour rencontrer l’Autre, si différent de moi, et aussi pour ne rien faire. M’asseoir dans le jardin devant mon gîte, guetter le colibri dans les fleurs alentour ou les lézards montant sur les poteaux de ma terrasse, écouter le soir les grenouilles chantantes, la pluie qui crépite sur les toits, le vent qui berce les branches, la mer qui s’écrase sur la barrière de corail, les cris des chèvres vagabondes, voilà qui suffisait à mon bonheur.

une chèvre à genoux

Et puis, de temps en temps, une virée sous les carbets des plages ou des falaises, une petite baignade, une bière fraîche au bistrot, un court dialogue avec une personne ou un couple que je ne reverrai pas forcément, un arrêt pour me recueillir dans la petite chapelle de la crête, penser à mes morts aussi bien qu’aux vivants qui m’ont laissé partir et qui attendent mon retour, un repas au restaurant pour changer de ma cuisine sommaire, le tout sans se presser, sans vouloir faire du tourisme stakhanoviste, car au fond, ici, il n’y a rien à voir (même les Guadeloupéens m’ont dit : « Mais enfin, qu’est-ce que tu as bien pu faire pendant trois semaines à la Désirade ? »), sinon se retrouver soi-même.

le parc éolien sur la crête : ça grimpe dur pour y accéder
 
Car, loin de notre bien-être citadin égoïstement installé, de notre existence contemporaine tellement assurée contre les aléas (l’absence d’eau), et les traverses (la moindre coupure d'électricité crée la panique) qu’on n’a plus que rarement des surprises, loin de l’insupportable bon sens véhiculé par les médias et des préjugés qui le soutiennent, il fallait bien organiser ses jours et ça m’a rappelé mon enfance si peu confortable (pas d’eau courante, les waters à l’extérieur, pas de chauffage, etc.). Pour tout dire en un mot, il y avait un téléviseur dans le gîte et je ne l’ai jamais allumé ! Me suis-je ennuyé pour autant ? Nenni !

le sentier de Montana, à l'est de la Désirade




au cimetière, la tombe du surfer



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