samedi 21 juin 2014

21 juin 2014 : "Fête de la musique" ?


Comment faisait l'humanité pour respirer avant l'invention de la radio ? Je ne sais pas, mais ce maudit perroquet a transformé le paradis terrestre en enfer : l'enfer. Pas la plaque chauffée à blanc, pas la chaudière bouillante : le tourment de l'enfer c'est le bruit. Le bruit c'est le brasier où brûlent les âmes.
(Fernando Vallejo, La vierge des tueurs, trad. Michel Bibard, Belfond, 1997)

Dire qu'aujourd'hui, c'est la fête de la musique. Je ne sais pas ce que dirait Fernando Vallejo s'il avait eu connaissance de l'invention du mp3 et des smartphones qui transforment une partie des êtres humains en zombies qui ne voient rien, qui n'écoutent rien, qui brûlent leur âme dans l'absence de silence. Il me prend des envies de retraite au désert, ou dans un monastère, ou en haute montagne, ou en haute mer, rien que pour échapper au brouhaha généralisé du monde contemporain : a-t-on remarqué qu'aucune plage de silence n'est possible à la radio ou à la télévision, ni dans beaucoup de magasins et même de restaurants ? Il faut occuper le terrain sonore, empêcher chacun de se réfugier dans le silence, devenu l'ennemi public numéro 1.
Encore tout à l'heure, alors qu'à la bibliothèque nous écoutions un trio de chanteuses loufoques qui chantaient a cappella, à deux reprises, un téléphone portable a sonné, et les personnes se sont éloignées précipitamment pour répondre à un appel qui devait être absolument urgentissime : la bibliothécaire, en présentant le spectacle comme un prélude à la fête de la musique, avait omis de demander au public d'éteindre ces odieuses machines... Comme je suis devenu zen, ça ne m'a pas troublé. Mais je pensais à ce que je venais de lire récemment dans le livre de George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue : notes pour une redéfinition de la culture (trad. Lucienne Lotringer, Gallimard, 1986) : "À l'homme seul, les livres sont une compagnie suffisante. Ils ferment la porte au nez des intrus. Le caractère imprimé, le besoin de silence qu'il commande exigent un isolement farouche. Ce dont la sensibilité moderne se méfie comme de la peste." Marguerite Duras, elle, me disait tout récemment (dans Les chiens de l'histoire, 1986, in Le monde extérieur : outside 2, POL, 1993) : "C'est dans ce bruit de la télévision qu'on se retrouve de plain-pied avec la vie, la mort : le bruit de la ville, et le silence. On est en train d'atteindre au désespoir concret, actif. On est d'accord. On est calme. On est défait. On n'écrit plus."
Et qu'ai-je lu chez Dostoïevski (Les frères Karamazov, trad Henri Mongault, Gallimard) : "lorsque les dieux auront disparu, on se prosternera devant des idoles." On en est là. Chacun/e est pendu/e à son chapelet électronique, doudou avec qui il/elle dort même parfois, alors qu'il/elle se moque des « croyants » traditionnels, de leurs chapelets, de leurs moulins à prières, de leurs livres « sacrés »
Et je constate, par ailleurs, que le fait de disposer de la musique en continu « ad nauseam » sur ces petites machines, dispense de faire sa propre musique, de chanter, par exemple. Qui chante encore de nos jours ?
C'était pourtant la fête de la musique...

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