samedi 29 décembre 2012

29 décembre 2012 : le moral et la novlangue


Je n'ai rien vu venir. J'ai vieilli d'un coup. Comme ça. Toute la force est partie un matin d'été. La veille, je courais les rues et montais sans problèmes les escaliers. Je mangeais salé, sucré, épicé, de tout. Et un matin, tout s'est arrêté. Tout s'est fermé en moi. Je n'ai vraiment rien vu venir. Je guidais le monde, le temps. Je suis à présent au fond de ce temps.

(Abdellah Taïa, Infidèles)







Abdellah Taïa est un des écrivains que j'ai découverts cette année, grâce à l'excellente Librairie des Colonnes de Tanger. Je cherchais des écrivains marocains et la libraire me l'a conseillé, ainsi que quelques autres. Inutile de dire que cette phrase extraite de son dernier livre correspond tout à fait à mon état actuel. Sauf que dans mon cas, c'est plutôt par un jour hivernal et grisâtre que c'est arrivé, mais les symptômes sont les mêmes. D'un coup, je me suis senti vieux. Sans forces. Incapable de prendre mon vélo et de courir les rues bordelaises. Sans appétit. Pire, même, du dégoût pour la nourriture. Les confitures ne me parlent plus, c'est tout dire. Et, bien sûr, avec l'impression de ne plus rien diriger de ma vie...

Certes, "la raison nous dit d'accepter le monde qui nous entoure. Je n'ai jamais été raisonnable", comme écrit Gil Courtemanche, dans Un dimanche à la piscine à Kigali. Et comme je ne suis pas très raisonnable non plus, que je ne crois pas du tout que la raison guide le monde, sinon il tournerait mieux, j'ai glissé sur la pente, d'où je regarde ce monde qui nous entoure, avec son cortège de misères et de maladies, de sentiments et de passions destructeurs, ce monde où il faut être performant (peut-on l'être à 67 ans ? Ou d'ailleurs à 20 ou 30 ?), afficher de la rigueur, être à l'écoute, positiver (je me demande comment positiver quand on est soudain très affaibli ?), bref faire un usage assez intensif de la novlangue qui règne dans la presse, les médias, langue de bois que je ne supporte plus...

Quand on ne parle plus d'employés, d'ouvriers ou de travailleurs (prolétaires est carrément honni !), mais de ressources humaines, quand le mot grève est banni au profit de mouvement social, quand les demandeurs d'emploi désignent les chômeurs, les gens modestes les pauvres, quand les exploités, les opprimés, les prolétaires sont devenus les exclus, quand l'élite parle de proximité et de terrain sans quitter les bunkers où vit cette classe dominante, quand on fait comme si les classes sociales n'existaient plus, quand on parle de transparence pour mieux tout dissimuler, quand le profit et le bénéfice n'existent plus et sont remplacés par résultat et retour sur investissement, quand des mots comme citoyen, convivialité, expertise, compétitivité, cohésion sociale, interface, communication, mobiliser, croissance sont employés à toutes les sauces pour nous faire avaler toutes les couleuvres, je ne comprends plus ce français-là. Je l'ai assez entendu pendant mes années à la DRAC, où la langue de bois administrative était utilisée à haute dose et me faisait éclater de rire (jaune) intérieurement.

Comprenez bien que je n'ai pas trop envie de m'étendre en ce moment, bien que je sache fort bien, comme le dit justement Anthony Horowitz, dans La maison de soie, que "écrire a une vertu thérapeutique et m'empêchera de tomber dans les humeurs auxquelles je suis parfois enclin".

Je ne sais pas si j'écrirai encore dans ce blog d'ici le 1er janvier, aussi vais-je souhaiter une bonne année à tous et, comme on n'est jamais si bien servi que par soi-même, à moi tout le premier, pour oublier un peu 2012 qui a eu ses bons moments (rencontres et visites un peu partout, Paris, Poitiers, La Rochelle, Le Mans, Tours, le Tarn, l'Aveyron, l'Hérault, Toulouse, le Gers, les Landes, le Marais poitevin, Lyon, Grenoble, Tanger, Venise, etc, merci famille et amis), mais où l'annulation de mon Tour du monde, puis mes histoires de prostate, et enfin la grippe et la pneumopathie m'ont quand même mis à la peine. J'espère que pour vous les bons moments ont dominé !

J'espère revenir revigoré de mon prochain voyage en cargo, jusqu'au Pérou et retour (approximativement 18 janvier-12 mars 2013), car je n'oublie pas ce qu'ont écrit les poètes :

"Voyageur, il n'est pas de chemin,

rien que des sillages sur la mer" (Antonio Machado)

"Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent

Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,

De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,

Et sans savoir pourquoi, disent toujours : « Allons ! »" (Baudelaire)

et je pars pour effectuer un voyage, sans autre but que partir, sinon peut-être de mieux me connaître.

Aucun commentaire: