jeudi 15 novembre 2012

15 novembre 2012 : Pigeons !


Mais les moyens, me direz-vous. Ils font défaut, nous touchons le plafond de ce qui est possible. Tout d'abord, ce n'est pas vrai, nous avons toujours les moyens de tout un tas de saletés. Surtout de saletés, dirais-je.
(Carl-Henning Wijkmark, La mort moderne)


Il ne faut pas cesser de dénoncer l'oppression sociale, et c'est pourquoi les manifestations contre l'austérité qui ont eu lieu hier avaient leur raison d'être. On est en train de réitérer les prolégomènes de la crise de 1929 : comparons la Grèce d'aujourd'hui et l'Allemagne d'alors. Cure d'austérité (rassurons-nous, pas pour tout le monde, les financiers, les spéculateurs et les grands groupes continuent toujours à tenir le haut du pavé et les « pigeons » continuent à faire des profits éhontés), chute des salaires et des retraites, chômage alarmant, voilà qui a fait le lit d'un certain Hitler : est-ce cela que veulent nos hiérarques ? Avec pour finir une guerre démentielle à la clé ?
Hier aussi, pendant la manif, à laquelle je n'ai, hélas, pas pu participer, j'étais au Palais de justice de Bordeaux, Cour d'appel, section des litiges de prudhommes, pour accompagner et soutenir mon ami F., en procès avec son ex-employeur, un exploiteur, que dis-je, un négrier, comme on va en voir malheureusement de plus en plus. J'attends avec impatience le résultat du délibéré (en janvier prochain), pour voir si, une fois n'est pas coutume, la justice n'est pas toujours du côté du manche. Voilà l'affaire. F., pendant trois ans, a effectué le gardiennage d'une grande propriété du Cognaçais, résidence secondaire d'un Anglo-Français, chirurgien à Londres. Il était mis à disposition de F. un logement de fonction, F. devait effectuer les tâches de nettoyage (pelouses, taille des haies, entretien des piscines, ménage et divers travaux), ainsi que le contrôle des gîtes ruraux du propriétaire (réservations des clients, accueil et vérifications lors de leur départ). F. n'avait pas de contrat de travail, tout s'était fait oralement ou par courriel, et il se faisait rémunérer (très chichement par rapport au nombre d'heures passées) par factures qu'il envoyait mensuellement au dit propriétaire, selon les modalités que ce dernier avait fixées (comprenant un pourcentage de 10 % sur les honoraires encaissés pour les locations). Bien entendu, le négrier espérait ainsi échapper aux lois sociales françaises, qui exigent un vrai contrat de travail, et le paiement de cotisations URSSAF et autres. Son avocat a bien tenté de contester la qualité d'employeur de l'Anglais, arguant qu'il n'avait pas de moyens de contrôle pour savoir ce que F. faisait réellement, et que ce dernier était un travailleur indépendant (!) qui faisait là des prestations de service. L'avocat de F. a été brillant, a démontré que l'activité aurait dû être salariée, qu'il existait des conventions collectives pour le gardiennage des résidences secondaires, et que même, puisque F. effectuait des tâches de gestion (réservations de locations, encaissement des loyers de ces locations), il avait quasiment été régisseur pendant la période. Le juge a parfaitement vu qu'il y avait là une tentative de travail dissimulé et d'échapper au fisc, que F. s'était trouvé dans un lien de dépendance économique et de subordination abusif. Sauf erreur, le négrier devrait être condamné à verser des salaires pour les trois années, les cotisations sociales afférentes, une amende et des dommages et intérêts. Mais bien sûr, j'attends de voir, d'autant que le négrier peut encore se pourvoir en cassation. Et qu'il semble avoir le bras long. Il doit se croire en Angleterre !
Tiens, par la même occasion, j'apprends que nos soi-disant « pigeons » de patrons ont trouvé de nouvelles techniques pour frauder et échapper aux cotisations sociales qu'ils trouvent exorbitantes : ils veulent bien embaucher des chômeurs, mais au noir, à condition que ceux-ci continuent à percevoir leurs indemnités de chômage (alors que les caisses sont vides). « C'est tout bénéf, disent-ils aux malheureux qui frappent à leur porte, vous aurez votre chômage, plus un salaire en liquide, c'est vous qui y gagnez ! » Ben voyons !
Et dans la presse, on commence à préparer tout doucement la population (gros titre d'Aujourd'hui en France de ce jour : « Faudra-t-il revoir nos salaires à la baisse ? ») à une flexibilité plus grande de l'emploi, aussi bien en termes d'horaires que de mobilité et de salaires. Pour faire comme en Angleterre ou aux USA ? Pourquoi pas comme en Chine ? Comme nous dit l'auteur suédois cité en exergue (et excellemment traduit par l'ami Philippe Bouquet), pour "faire des saletés", on trouve "toujours les moyens". Et nos nouveaux pigeons imitent drôlement les volatiles, on va crouler sous leurs excréments !
Décidément, l'avenir est en marche arrière...

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