mardi 19 juin 2012

19 juin 2012 : la vie passe


Il pourrait ici, homme nouveau parmi des hommes nouveaux, gagner une nouvelle et bonne opinion de lui-même.
(Léon Tolstoï, Les Cosaques)


Nous vivons une époque terrible. En peu de mois, j'ai perdu trois connaissances ou amis morts prématurément : Pascal (40 ans), en janvier, d'un cancer foudroyant, Patricia (55 ans), en avril, des suites d'un cancer long et récidivant, et Romain (27 ans), dont j'ai appris hier le suicide.
Pascal, je ne le connaissais pas beaucoup. Claire avait travaillé pendant quelques mois avec lui, pendant ses quelques mois au centre de documentation du Musée. Je l'ai revu par hasard peu avant de quitter Poitiers. Il essayait de se rebâtir une nouvelle vie, après des années d'homme à tout faire au Musée. Il avait suivi des formations diplômantes en massages et soins corporels, et avait son contrat d'embauche comme employé qualifié dans ces domaines au sein de l'unité de soins corporels (spa, sauna, massages, pédicure, etc) du nouvel hôtel Mercure **** qui devait ouvrir à Poitiers, et qui a ouvert le mois dernier sans lui. Dommage, cet homme jeune n'a pas pu gagner cette bonne opinion de soi-même que le Musée ne lui avait pas offerte.
Patricia, qui avait fait sa reconversion au début des années 90 sous ma houlette (de danseuse, elle devenait bibliothécaire), avait eu une vie particulièrement chaotique : retirée enfant à ses parents, placée en famille d'accueil (heureusement excellente), elle avait réussi à transcender toutes ses difficultés de jeunesse. Pourtant, sa vie privée d'adulte n'avait pas été une réussite : mariage raté, unique bébé mort en bas âge... Je l'ai retrouvée l'an dernier, et j'espère avoir pu adoucir ses derniers mois par mes visites fréquentes, les lectures à haute voix (dont La vie de Cézanne, qu'elle avait beaucoup apprécié, elle qui avait fait une licence d'histoire de l'art), nos sorties au soleil et nos conversations à bâtons rompus au Parc de Blossac. Hélas, la maladie, contre quoi elle luttait depuis bientôt cinq ans, a eu raison d'elle.
Je connaissais encore moins Romain, cousin d'I., chez qui je dors assez souvent quand je viens à Poitiers. Pourtant, nous habitions dans la même tour des Couronneries, et je l'avais rencontré plusieurs fois dans l'ascenseur, qui allait promener son petit chien. Romain était d'une maigreur phénoménale. Il arborait un visage profondément mélancolique. I. m'a appris que son cousin n'acceptait pas son homosexualité et en souffrait beaucoup : il n'avait pas une bonne opinion de lui-même. Je ne connais évidemment pas les détails sur son suicide. Il y a environ trois semaines, nous avions pique-niqué ensemble tous les trois, puis étions allé voir au cinéma Maman, le film avec Josiane Balasko. Je ne l'ai pas revu depuis. I. m'a envoyé hier au soir un sms douloureux.
Certes, je lis dans une nouvelle d'Arno Schmidit, de son recueil Histoires : "Je trouve plus de consolation dans l'idée de la mort qu'en l'idée d'une vie éternelle". Je regrette pourtant que la mort fauche prématurément. Je sais bien que nous ne sommes pas éternels, et d'ailleurs tant mieux. Mais quand même... Je m'efforce de vivre intensément chaque minute qui passe : "Un vrai vivant, il lui suffit de vivre – d'être tout entier présent à son présent", dit Georges Hyvernaud. Mais la douleur de la disparition des personnes connues et peu ou prou aimées est justement d'autant plus forte. Car je suis tout entier dans l'instant qui passe et dans sa fugacité. Et peut-être que chaque mort annoncée me parle aussi – en filigrane – de la mienne à venir. Ce qui ne me rend pas triste, mais sérieux. C'est toujours douloureux de voir partir quelqu'un, c'est comme si une parcelle de soi disparaissait avec.
 
Marius Noguès, au centre, entre Guy Bordes et Michel Ragon
Tiens, et aussi il y a cinq jours, mon vieil ami (92 ans) le paysan et écrivain Marius Noguès est mort. Décidément, ça fait beaucoup. On peut toujours relire ses livres. Et aussi ce que j'ai écrit sur lui. Relisons Danièle Sallenave : "évidemment, ça n'est pas « interdit » de ne pas lire, mais est-ce satisfaisant ? Est-ce qu'en exerçant à plein son « droit de ne pas lire », on ne se retrouve pas privé de quelque chose d'essentiel ? S'il n'est pas forcément bon de lire, il est possible aussi qu'il ne soit pas bon de ne jamais rien lire. […] Comment aurait-on accès, si on ne lit pas, à toute cette part de nous-mêmes, nous humains, qui s'est fixée dans les livres ?"

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