dimanche 19 février 2012

19 février 2012 : ô vous, frères humains

Il lisait pour son propre plaisir, non pour accroître ses connaissances - même si cet accroissement participait de son plaisir, il en avait bien conscience.
(Alan Bennett, La reine des lectrices)
Me voici donc, continuant mes pérégrinations à Paris, où j'ai repris le vélo, vélib, avec plaisir. C'est tout de même autre chose que d'être enfermé dans les tunnels du métro !


Je puise aussi dans la bibliothèque de mes cousins, d'où j'ai sorti le terrible On les aura ! récit saignant d'une révolte armée dans une maison de retraite, de Rolland Hénault. J'étais mort de rire. il s'agit de la révolte combinée par trois vieillards, un professeur, un ouvrier, tous deux encore valides, et un immigré quasiment handicapé ; tous trois ont la même conscience que le père d'Antoine Audouard : "quand on reconnaît sans crainte particulière la mort, pourtant proche, c'est là en effet qu'on est libre" (Le rendez-vous de Saigon). Ils font sauter le camp (comme ils disent), le centre (comme dit en se gargarisant le directeur de l'établissement), provoquant des morts, ainsi qu'une panique, car la révolte se généralise dans d'autres maisons de retraite. C'est admirablement écrit, anarchiste à souhait, grossier et vulgaire quand il le faut et seulement quand il le faut (pour fustiger les puissants de ce monde), car le narrateur n'oublie pas qu'il était professeur de lettres, et qu'il est devenu "terroriste", parce que le système des maisons de retraite est invivable. Ce livre m'a rappelé un roman de Joseph Bialot, Le jour où Albert Einstein s'est échappé, que j'ai chroniqué naguère, ainsi que le livre de Pierre Gagnon, Mon vieux et moi (autre livre dont j'ai parlé). J'ai dévoré aussi un roman de Raymond Queneau, que je ne connaissais pas, toujours sur le thème du vieillissement, Les derniers jours. Quoique Queneau parle aussi des jeunes, puisque un groupe d'étudiants vit aussi ses derniers jours de jeunesse, en quelque sorte, avant de sombrer dans le monde du travail. Un joli passage sur une bibliothèque : "Il lui fallait maintenant choisir l'ouvrage qu'il devait tenter d'obtenir de la malveillance des gardiens galopant derrière les grilles [...] Chaque fois que Rohel se risquait dans cet endroit, il avait une histoire avec ces fonctionnaires itinérants. Il se mit à consulter les fiches, cherchant une cote. C'était encore une chose dont il avait horreur. Ces petits bouts de carton graisseux le dégoûtaient. Enfin, il rédigea sa demande et, l'ayant remise à un gardien, il en suivit à son tour les déplacements. En fin de compte, l'ouvrage était "en mains". Aucun doute, c'est un portrait fidèle des anciennes bibliothèques, telles que je les ai connues encore, quand j'étais étudiant, soit quarante ans après l'action du livre, qui se passe juste après la guerre de 14.


Et puis, ce qu'il y a de bien à Paris, c'est que j'y ai des cousins très différents les uns des autres. Avec François et Claire, qui sont à peine plus jeunes que moi, nous sommes allés voir Déshabillez-mots dans un théâtre près des Champs Élysées. Deux comédiennes avaient inventé une suite de savoureux sketches, où chacune interviewait l'autre sur le mode radiophonique, au sujet de mots, de leurs définitions, de leurs diverses acceptions, et de tous les jeux de mots auxquels ils peuvent prétendre. C'était souvent très drôle, et bien enlevé.
Avec l'autre cousin, Blick, d'une génération plus jeune, et artiste lui-même, je suis allé à un vernissage d'exposition d'amis à lui, suivi d'une soirée dans un squat. Le squat est autorisé par la ville de Paris, en attendant la destruction du bâtiment par un promoteur. Les occupants y sont là depuis trois ans, et ont fait diverses transformations dans le jardin, construisant des "cabanes" habitables écologiques, un sauna, des toilettes sèches qui ont la particularité d'être montées sur rail. Quand la fosse est pleine, on les roule vers la fosse suivante, dont les déjections sont entretemps devenues du compost pour le jardin et les fleurs. 90 % de l'électricité est autonome. Une bien belle soirée, avec contes, chansons, films expérimentaux, discussions libres. Le genre de soirée qui nous fait espérer encore un peu du genre humain ! Ici, ça semble être un milieu d'artistes, de ceux qui ne sont pas "rentables", probablement, dans notre monde de statistiques et de chiffres.
Combien je souhaiterais que ceux qui prétendent à la présidence de notre pays méditent sur cette phrase : nous ne sommes pas des chiffres, nom d'une pipe, nous sommes des êtres humains.

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