quand
le cynisme de la machine économique prétend imposer au monde sa
folie destructrice, les individus sont obligés de défendre, en
luttant, leurs dernières chances de réaliser une communauté
humaine intégrée dans la nature. Confrontés à cette alternative
démentielle, qui pourrait reprocher aux hommes le refus de se
soumettre, sinon leurs bourreaux ?
(Sergio
Ghirardi, Nous n'avons pas peur des ruines : les
situationnistes et notre temps,
L'insomniaque, 2004)
Il
faut toujours en revenir à Victor Hugo, et à son maître-livre, Les
misérables.
Voici, pour répondre à ceux – aux journaux notamment – qui se
plaignent de « l'agression » sauvage dont ont été
victimes le directeur des ressources humains (ah ! quelle belle
invention que cette expression : nous voici réduits, nous,
êtres humains, personnes, à des ressources, comme le charbon, le
pétrole, la terre et ce qu'elle produit, et donc jetables et
consommables comme ces productions ou extractions) d'Air France et
son acolyte tout récemment, ce qu'écrivait ce formidable écrivain,
lors d'une éruption de violence relatée dans le roman :
"Sauvages.
Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours
génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants,
farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le
vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ? Ils voulaient la
fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le
travail pour l'homme, l'instruction pour l'enfant, la douceur sociale
pour la femme, la liberté, l'égalité, la fraternité, le pain pour
tous, l'idée pour tous, l'édénisation du monde, le Progrès ;
et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout,
hors d'eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue
au poing, le rugissement à la bouche. C'étaient les sauvages, oui ;
mais les sauvages de la civilisation. […] En regard de ces hommes,
farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et
effrayants pour le bien, il y a d'autres hommes, souriants, brodés,
dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches,
en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de
velours au coin d'une cheminée de marbre, insistent doucement pour
le maintien et la conservation du passé, du moyen âge, du droit
divin, du fanatisme, de l'ignorance, de l'esclavage, de la peine de
mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le
sabre, le bûcher et l'échafaud. Quant à nous, si nous étions
forcés à l'option entre les barbares de la civilisation et les
civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares."
Dans
le cas d'Air France, on est bien ici dans un conflit entre le
patronat de droit divin (la direction et son plan de retructuration,
2 900 licenciements, tout de même, aux ordres des actionnaires, bien
camouflés derrière leurs « cheminées de marbre » :
on ne les voit jamais) et ceux qui réclament le travail pour tous.
Ce qui m'étonne, moi, c'est qu'il y ait eu au contraire si peu
d'explosion de violence et je ne suis nullement surpris de ce qui se
passe actuellement. Les plans sociaux sont destructeurs d'humanité.
Il n'y a pas de dialogue possible quand on vous somme - le couteau
sous la gorge, d'accepter un tel plan social !
Pour
comparer avec un autre point de l'actualité (mais il y en aurait dix
autres !), c'est comme si on demandait aux Palestiniens, humiliés en
permanence, expropriés des fameuses zones de colonisation (qui ne
sont que du vol des terres), parqués derrière des check-points, des
murs et des barbelés, privés d'eau, de soins, persécutés sans
cesse, emprisonnés sans être jugés, de ne jamais se révolter. Ce
qui m'étonne, moi, c'est qu'il y ait eu au contraire si peu
d'explosion de violence, et je ne suis nullement surpris de ce qui se
passe actuellement. Peut-on dialoguer avec un état militarisé à
outrance ?
Il
y a de plus en plus de misérables. Le monde va mal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire