samedi 26 avril 2014

26 avril 2014 : Girafada : des girafes contre la haine


la haine entre les générations et les classes, pour être silencieuse, n'en était pas moins profonde. […] les beaux quartiers et les parcs étaient redevables de leur atmosphère feutrée à la contrepartie menaçante, admise mais contenue, que représentaient les taudis.
(George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue : notes pour une redéfinition de la culture, trad. Lucienne Lotringer, Gallimard, 1986)



Pour raconter l'occupation israélienne – dont le caractère odieux saute aux yeux à chaque instant dans le film – il suffit de se mettre à hauteur d'un regard d'enfant, ce que Girafada essaie de montrer avec une grande acuité. Un seul exemple, le couvre-feu est imposé de 18 h du soir à 6 h du matin par l'occupant. Mais les gamins n'ont nulle envie de rentrer chez eux si tôt, alors qu'il fait encore jour. À la soldatesque qui les menace avec les mitraillettes et qui leur crie : « rentrez chez vous ! », les gamins, pas sots, répondent : « mais on est chez nous ! »

Nous sommes vers 2002. Dans ce beau film qui décrit un pays enfermé, cerné par un mur, on suit l'histoire de Ziad, un garçon palestinien de dix ans, dont le père est vétérinaire de l'unique zoo de Palestine, à Qalqilya, à quelques encablures de Naplouse - mais pour y aller, il y a un check-point, avec toutes les humiliations qui vont avec. Ziad passe la majeure partie de son temps libre au zoo, il s'est littéralement amouraché d'un couple de girafes,ce dont ses camarades d'école se moquent. Mais l'Intifada reprend, et avec elle, les bombardements israéliens. La girafe mâle, affolée par les explosions, se blesse mortellement. La femelle, désespérément inconsolable – qui dira encore que les animaux n'ont pas de sentiments ? – refuse dès lors de manger, et se laisse dépérir. De plus, Yacine, le vétérinaire, découvre qu'elle est pourtant enceinte. Ziad, désespéré, disparaît pendant toute une nuit (et on voit les effets du couvre-feu). Alors, pour sauver la girafe et redonner espoir à Ziad, une idée naît chez Yacine : utiliser la complicité d'une journaliste française pour convaincre un de ses amis, un vétérinaire israélien, de faire venir d'un zoo d'Israël un nouveau mâle qui permettrait de sauver la girafe et le futur girafon.
Inspirée d'une histoire vraie, le film raconte dans sa dernière partie – à suspense – l'équipée extraordinaire de la venue d'une girafe dans les territoires occupés. Surtout quand on a vu auparavant la difficulté des franchissements des check-points, où les soldats ont la gâchette facile et n'ont aucun respect humain. La dureté de la vie en Palestine est parfaitement bien décrite, y compris la violence des colons, car vue par les yeux d'un enfant (Ahmed Bayatra, un gamin au clair regard, incarne le rôle avec maestria) qui ne comprend pas tout, mais qui se sent autorisé à la résistance, car il y va de son bonheur, alors que les adultes – dont son père – ont baissé les bras.
Il y avait des enfants dans la salle quand je l'ai vu, je peux vous dire qu'ils étaient scotchés. Bien sûr, c'est un film sous-titré (alors que toutes les merdes nord-américaines sont doublées), et alors, ne savent-ils pas lire ? Il vaut mieux les emmener voir des films comme celui-là qui leur montrent la difficulté de vie d'autres enfants, des films humains, au lieu des sempiternelles giclées d'explosions des blockbusters ou des dessins animés aseptisés, films qui les anémient et les anesthésient entre deux goulées de pop-corns.
Ah ! J'oubliais de rappeler l'élégance et la beauté des girafes. Comme les humains bottés, casqués, fusils en mains, paraissent petits, laids et mesquins à côté !

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