jeudi 12 septembre 2013

12 septembre 2013 : Venise, lectures sans connexion


30 avril 1993 : Quand on est porté par une passion qui n'est pas partagée, quand on vit et pense selon des valeurs autres que celles qui prévalent dans la société, comment ne pas être acculé au retrait, à la solitude ? La honte que j'avais à me sentir différent.

(Charles Juliet, Lumières d'automne. Journal VI : 1993-1996)

voilier sur la lagune, le soir



Revenons un peu sur cette espèce d'effroyable contrainte que fait peser sur nous le nouvel appareillage prothétique que notre époque nous impose. Je lisais récemment un article qui répertoriait toutes les nouvelles applications qui vont être liées à cette connexion permanente et qui concernaient la santé : on pourra bientôt contrôler soi-même et en permanence nos battements cardiaques, notre tension artérielle et bien d'autres choses encore. Big brother est vraiment là. "Notre temps est interrompu sans arrêt par le besoin compulsif de contrôler les médias que nous portons sur nous, de consulter notre portable, de photographier, de chercher des sites sur des cartes et des informations. Toutes ces pratiques bouleversent l'expérience du temps continu et sans cassure, car elles transforment le temps en séquences d'interruptions et de moments fragmentés", notait Raffaele Simone, dans son excellent Pris dans la toile : l'esprit au temps du web, paru chez Gallimard en 2012. J'ajouterai que par ailleurs, les pratiques en question bouleversent notre vie, en nous rendant inquiets, impatients, fébriles. Bien des gens dérangent leur médecin au téléphone pour un oui ou pour un non, par exemple, lui rendant la vie stressante alors qu'il est en consultation : un des effets pervers du téléphone illimité. 

le jardin de l'hôtel, vu de notre chambre
 

Ici, dans ma solitude bordelaise, je retrouve mes marques. Lectures, cinéma, écriture. J'ai d'ailleurs pas mal lu aussi à Venise, en particulier le tome 6 du Journal de Charles Juliet, intitulé Lumières d'automne, et couvrant les années 1993 à 1996. Comme les autres volumes, c'est magnifiquement écrit, et ça me parle forcément beaucoup. Ainsi le 12 mars 1993, il écrit : "La passion de la lecture est apparue en moi quand j'ai commencé à écrire, quand j'ai pris conscience de mon inculture et de mon ignorance. Heureux que je suis que cette passion ne se soit pas éteinte, que cette faim ne soit toujours pas rassasiée". Eh bien, la mienne non plus est loin d'être rassasiée, et non content de sonder mes propres livres, j'écume aussi la bibliothèque municipale de Bordeaux et ne manque pas de faire également des emprunts à la Bibliothèque universitaire de Poitiers, dans ma famille ou chez des amis. Car je cherche toujours à me comprendre, et les écrivains, plus que les musiciens ou les cinéastes, m'y aident prodigieusement. Charles Juliet écrivait le 10 février 1993 : "La pire des solitudes, c'est être coupé de soi-même, c'est vivre dans l'ignorance de ce qui nous gouverne, c'est ne rien comprendre à ce que nous sommes. La plupart des hommes sont dans ce cas".

la jeune fille aux cheveux bleus, attendant le vaporetto
 

J'ai lu aussi de Julien Gracq, ses Manuscrits de guerre, publiés posthumement chez José Corti. Texte saisissant sur la drôle de guerre, vue par un écrivain qui n'avait pas ses yeux dans les poches. Ce journal, qui relate la courte période qui suivit l'offensive allemande de mai 1940 jusqu'à la reddition en juin de l'escouade de Gracq, reflète assez bien l'impréparation de la France dans cette affaire. J'ai beaucoup aimé les réflexions de l'auteur, comme celle-ci : "Impuissance absolue – rigoureusement rien à faire – qu'une subtilité dans l'immobilité qui me fait pénétrer le génie des cailloux, des minéraux". Et comment ne pas signaler l'excellent roman de Georges Perec, Un homme qui dort, trouvé chez Mathieu, et assez proche de L'étranger de Camus. "L'indifférence n'a ni commencement ni fin : c'est un état immuable, un poids, une inertie que rien ne saurait ébranler", "Ne plus rien attendre. Attendre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir. |...] Sortir de tout projet, de toute impatience. Être sans désir, sans dépit, sans révolte", "Pourquoi ferais-tu semblant de vivre ? Pourquoi continuerais-tu ? Ne sais-tu pas déjà tout ce qui t'arrivera ?", voilà où en est le personnage principal. On en trouve de semblables dans la vie réelle, déboussolés, incapables de se bouger, mornes et apathiques, mais pas toujours aussi conscients de ce qui leur arrive. Et aussi, trouvées chez Lucile, les belles nouvelles de l'écrivain prolétarien sénégalais (et cinéaste) Ousmane Sembène : Voltaïques.


 le Rialto, pont sur le Grand Canal

Pour finir, quelques photos de mes errances dans Venise.

un petit canal

gondolier

 
la cour du Palais des Doges, à l'ouverture (8 h 30) : pas un chat, 
sauf Mathieu, admiratif

Grand Canal, 
les palais

 un vaporetto 
sur la lagune


1 commentaire:

Annie a dit…

J'ai repris avec plaisir ton blog après ton retour de Venise.
Tes photos sont très belles surtout que je ne connais pas Venise.
Il faudra que j'y ailles un de ces jours