vendredi 6 janvier 2012

6 janvier 2012 : petites phrases


Il faudrait être à ce qu'on fait dans une contemplation quasi religieuse.

(Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l'espèce)



Cette phrase de Jean-Pierre Georges m'a frappé, alors même que je rentrais précipitamment chez moi, en refaisant le trajet inverse du tram jusqu'à ma tour, car en arrivant au tram et en voulant prendre ma carte, j'ai trouvé ma poche ouverte et les clés de l'appartement n'y étant pas. Je venais en sortant de jeter à la poubelle un sac poubelle : "pourvu, me suis-je dit, que je n'ai pas jeté mon trousseau de clés avec !" Puis, je me suis souvenu que je venais de récupérer mon courrier. Le gardien était là, je rentre avec lui, je lui raconte, il jette un œil et me dit : "elles sont sur la boîte aux lettres !"

Ce sont ces menus événements, insignifiants si l'on veut, et pourtant très chargés de sens, qui me font dire que je débute un Alzheimer... Toujours chez ce même écrivain (poète ? Il écrit à la manière de Jean-Claude Martin des textes d'une page ou d'une demi-page en prose poétique, qui sont des impressions, des sensations, des pensées à la Montaigne, sur ce qu'est sa vie), je lis : "J'aurai eu accès à cette vérité : ma vie n'était pas nécessaire". Parole sage, philosophique si l'on veut, et modeste aussi, qui m'a remué, car depuis quelque temps je me pose aussi cette question. À quoi ou à qui ai-je été nécessaire ? Je suis encore ébloui d'avoir eu une compagne de longue route ; notre poète écrit aussi : "Une femme m'aura accompagné, je ne suis pas juge de ses raisons", j'en pourrai dire autant, car en quoi l'ai-je méritée ? Et lui ai-je été nécessaire ?

Mon ami F., chez qui j'ai passé la journée d'hier, m'a demandé de lui expliquer si je faisais la différence entre être et exister. Grande question à laquelle je n'ai pas pu lui répondre sur le coup (ce sera pour une prochaine livraison de mon blog). J'ai relevé toujours chez le même écrivain : "Le sentiment de la vie unique, dans l'infini du temps, en une seconde t'anéantit". Sentiment qui m'est apparu aussi lors de mon premier voyage en cargo, quand j'ai été confronté à la solitude des grands espaces maritimes, et au temps qui semble s'y dilater à l'infini. Sans doute notre vie est unique, et donc – peut-être ? – nécessaire, ne serait-ce que pour faire continuer le monde, l'améliorer, perpétuer l'espèce, créer éventuellement... 
 

Pour me préparer à mon futur tour du monde, j'ai lu le roman de Stefán Máni, Noir océan, un roman islandais d'une noirceur absolue, et dont toute l'action se déroule sur un cargo bientôt en perdition. J'y ai relevé aussi ces phrases : "La vie n'est rien d'autre qu'une danse dénuée d'espoir sur un fil tendu où nous finissons tous, tôt ou tard, par perdre l'équilibre avant d'être précipités dans un vide sombre et absolu...", "Pendant bien longtemps, il est resté sourd aux propos d'hommes dans la fleur de l'âge qui affirmaient combien il devait être triste de n'avoir personne avec qui partager ses vieux jours. Combien il devait être triste de mourir seul", "le vide s'agrandit à chaque parole non dite, chaque geste non accompli, chaque baiser non reçu, non rendu", "Naviguer, c'est danser avec la mort. Et celui qui danse avec la camarde ne promet nulle autre danse à quiconque. On ne défie pas la faucheuse, on ne provoque pas le destin, c'est aussi simple que ça".

Forcément, je vieillis. Je pense au vide absolu de la mort, à mes vieux jours en solitaire (heureusement, j'ai des frères et sœurs, des enfants, des amis), à toutes les paroles non dites, aux gestes que je n'ai pas faits, aux baisers que je n'ai ni donnés, ni acceptés... Alors, dans mes lectures ou dans mes rencontres, je soupèse chaque mot, chaque groupe de mots, chaque phrase. Et je m'interroge. Je me dis que tout le monde est comme moi, que chacun s'interroge sur son destin, que tout ça n'est pas tragique, au fond. Car Jean-Pierre Georges écrit aussi : "Sache pourtant que seules sont essentielles les minuscules satisfactions". Aucune vie n'est dénuée de ces toutes petites choses qui peuvent nous rendre heureux ou fiers : une fleur, un ciel, un sourire, ou comme disait Baudelaire, l'ivresse que procurent le vin, la poésie ou la vertu.

Aucun commentaire: