dimanche 14 septembre 2025

14 septembre 2025 : Ma barbe à la Fête de l'Huma

 

les gens sont d’ordinaire très bavards. Ils ne supportent pas le silence. Ils ont horreur du silence. Le silence, ça les terrifie.

(Philippe Claudel, La petite fille qui ne parlait jamais, in Le monde sans les enfants, Stock, 2006)


                    Comme mon ami écrivain José Luis Toribio venait à la Fête de l'Humanité proposer son dernier livre L'Usine, qui venait de paraître à la Manufacture des livres, je lui avais promis d'y venir, moi qui n'y étais plus allé depuis 1971, année où j'avais écouté Claude Nougaro en concert. Depuis le massacre des Palestiniens en septembre 1971 (Septembre noir), je m'étais laissé pousser la barbe, un peu maigrelette, je l'avoue. C'était en l'honneur des Palestiniens, bien entendu, et aussi pour paraître plus vieux au travail où, à 24 ans, j'avais l'air d'un jouvenceau.

                    Depuis, la barbe ne m'a plus quitté, plus ou moins longue, plus ou moins étoffée, couvrant ou pas le cou et les joues. Depuis le mois de novembre dernier et mon voyage d'automne à Londres, je ne me rase plus du tout. J'avais en effet observé de nombreux vieillards de mon genre, dans les bus, le métro ou en ville, portant une barbe fournie, plus ou moins fleurie, et avaient l'air de s'en bien porter. Pourquoi ne ferai-je pas pareil ? En plus, quand je fais du vélo, le vent s'engouffre dedans faisant frémir les poils de contentement, comme une caresse légère et douce, une petite chatterie qui me remue la barde désormais longue et blanche, une tendresse que je me garde de dédaigner.

                    Bref, j'ai fait un aller-retour samedi 13 pour joindre  l'ami José. J'ai découvert que la fête avait changé de place, passant du nord au sud de Paris, dans un coin où je n'étais jamais allé. Une fois à Paris, j'ai pris le RER C à Saint-Michel jusqu'à la station de Brétigny-sur-Orge, où nous attendaient les navettes prévues qui nous conduisaient à environ 2 km de l'emplacement de la Fête, distance qu'il fallait ensuite terminer à pied. Je ne marche plus très vite, à bientôt 80 ans. Un jeune homme de 29 ans, Gautier, a bien voulu ralentir son pas pour m'accompagner en papotant. Cet ingénieur informaticien venait de Metz. 

                    Je me suis précipité vers le village du Livre. J'en ai fait le tour complet, trouvant plein de livres intéressants : littérature, sociologie, politique, histoire, sciences, etc. et des bouquins pour la jeunesse à foison. J'ai découvert des éditeurs inconnus, et j'ai pu mesurer l'ignorance dans laquelle je suis depuis que j'ai quitté mon métier. Comme j'étais arrivé tôt, à 9 h et demi, il y avait encore peu de monde et j'ai pu déambuler sans problème. J'ai trouvé José Luis à son stand, ai acheté et lui ai fait dédicacer son livre, j'ai visité une partie des autres stands (il y en avait 500, j'ai pas tout vu !), puis nous sommes allés manger dans un des restaurants installés sous chapiteau, nous contentant d'une soupe à l'oignon et d'une crêpe œuf jambon tout à fait correctes. 

                    Il y avait d'ailleurs de la nourriture et des boissons à la majorité des stands, même les plus politisés, ce qui me faisait penser que, décidément, les gens ne pensent plus qu'à bouffer, et qu'on crèvera de cette surbouffe. Des ateliers-débats, des conférences, des concerts, complétaient les activités. Dès le début de l'après-midi, les gens sont arrivés en grand nombre : tous les stands à débat ou conférence affichaient complet. Et je me suis dit que, maintenant, je n'arrive plus à supporter la foule, le bruit, le surplace debout. Dès que j'ai pu, j'ai essayé de retrouver la sortie et j'ai déguerpi, un peu honteux. Je n'en pouvais plus.

                    Si la barbe sied bien à mon âge (encore un verbe bizarre, seoir, comme pleuvoir, ne se conjugue qu'à la 3ème personne du singulier), franchement, ce genre de manifestation pleine de gens, souvent très jeunes et bruyants, n'est plus de mon âge. Heureusement que j'étais arrivé tôt le matin ! À 17 h, de retour à Paris, j'étais éreinté, et le soir à Bordeaux, je n'ai pas demandé mon reste et, une fois au lit, j'ai dormi 7 heures d'affilée, ce qui ne m'arrive que rarement. 

                  Ma barbe, elle, a bien tenu le coup, mieux que mes jambes, je devrais peut-être la faire descendre jusqu'à mes pieds pour donner du tonus à la partie basse de mon corps. Why not ! Mon Dieu, voilà que je me mets à écrire en anglais, my God !




vendredi 12 septembre 2025

12 septembre 2025 : j'ai reçu une lettre de Virginia Woolf

 

Nos pensées ne sont que trop promptes à s’emparer d’un nouvel objet, à le soulever pour le déplacer un peu à la manière de fourmis qui transportent fiévreusement un fétu de pailles, et puis l’abandonnent…

(Virginia Woolf, La marque sur le mur, in Le quatuor à cordes et autres nouvelles, trad. Michèle Rivoire, Gallimard, 2024)

 

                Virginia Woolf reste mon écrivaine favorite. Chacune de ses phrases me parle, en particulier dans son Journal, sa Correspondance et autres écrits intimes. Elle est pour moi une amie incomparable, comme seuls peuvent l'être des écrivains(e)s ou des artistes. Voici, dans le recueil de Lettres choisies intitulé Tout ce que je vous dois (trad. Delphine Ménager, L'orma, 2020) une lettre adressée à Ethel Smyth, plus âgée qu'elle d'une vingtaine d'années. Comme quoi l'amitié n'a pas d'âge, ce que j'ai pu constater maintes fois dans ma si longue vie.



À Ethel Smith

19 août 1930

"Je ne crois pas aimer vraiment qui que ce soit". Je me suis réveillée cette nuit en me disant : "Je suis pourtant la plus passionnée des femmes. Ôtez-moi mes affections, et je serai pareille à une algue hors de l'eau, à la carcasse d'un crabe, à une coquille vide. De mes entrailles, ma moelle, mon suc, ma pulpe, de toute ma lumière, il ne resterait rien. Je serais souffle dans la première flaque et je m'y noierais. Ôtez-moi l'amour pour les amis, l'urgence brûlante de l'importance de l'existence humaine, de ce qu'elle a d'attirant et de mystérieux, et je ne serais plus qu'une membrane, une fibre incolore et sans vie que l'on pourrait jeter comme n'importe quelle autre déjection. Alors, qu'ai-je voulu dire quand j'ai écrit à Ethel :"Je ne crois pas aimer vraiment qui que ce soit" ? C'est vrai : je ne cherche à me faire remarquer qu'auprès des femmes. Seules les femmes stimulent mon imagination - sur ce point je suis d'accord avec vous. [...] Et souvenez-vous - non pas que vous risquiez d'oublier ce fait essentiel - quelle étrange chose je suis, pareille à un miroir fêlé dans une foire. Seulement, pendant que j'écris ces lignes, me frappe le fait que je romance, comme d'habitude, irrésistiblement aiguillée par l'attrait d'une phrase ; alors qu'en réalité Virginia est simple, si simple, tellement simple : il suffit de lui donner de quoi jouer, comme à une gamine. [...]

Votre Virginia

 

                    Soutenez-moi pour que j'arrive à écrire mon chapitre sur Virginia (la seule écrivaine, avec Annie Ernaux, que j'appelle par son prénom) dans mon futur recueil sur mes femmes écrivains !





jeudi 4 septembre 2025

4 septembre 2025 : soutien à la Flottille de la liberté

Maintenant, Israël organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut pas aller sans oppression, répression, expulsion, et il s’y manifeste contre lui une résistance qu’il qualifie de terrorisme.

(Charles de Gaulle, conférence de presse, 27 novembre 1967)

 

                    Depuis 1967, rien n'a changé et les paroles du président français sont restées prémonitoires. Bien entendu, cela ne servira pas à grand chose de les rappeler ici, et Israêl continuera à détruire, massacrer, piller le patrimoine palestinien, spolier... Et probablement arraisonner tous les bateaux de la Flottille.  Mais Thomas Guénolé, Professeur de relations internationales,  et volontaire français à bord de la Global Sumud Flotilla, nouveau nom de la Flottille de la liberté, vient de publier la lettre ouverte d’avertissement à l’attention d’Itamar Ben-Gvir, Ministre de la sécurité nationale d'Israël ; je me permets de vous la soumettre:

 

Monsieur le Ministre,

Professeur de relations internationales et intellectuel de gauche, je fais partie des volontaires qui embarquent à bord de la globalsumudflottilla, dont le but est d’apporter de la nourriture et des médicaments aux Palestiniens de #Gaza, dans le contexte du génocide perpétré par votre gouvernement selon la Cour internationale de Justice (décision 26/01/2024).

Le 30 août 2025, vous avez proposé que l’État d’Israël nous capture et commette contre nous des crimes graves en droit international.

Vous avez proposé de nous emprisonner dans les prisons de Ketziot et Damon « sans alimentation décente ».** C’est un crime de guerre selon l’Article 8(2)(a)(ii) du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale relatif aux « traitements inhumains » contre des personnes protégées. Si vous en donnez l’ordre, vous encourez jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle.

Vous avez proposé de nous « traiter avec fermeté » pour nous « enlever l’envie » de porter assistance aux civils palestiniens. C’est un crime de guerre de famine selon l’Article 8(2)(b)(xxv) du Statut de Rome, qui criminalise le fait « d’empêcher intentionnellement l’envoi des secours » humanitaires. Si vous en donnez l’ordre, vous encourez la réclusion criminelle à perpétuité.

Vous avez proposé de nous « désigner comme terroristes » en raison de notre mission humanitaire. C’est un crime contre l’humanité selon l’Article 7(1)(h) du Statut de Rome relatif à la « persécution de tout groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique ». Si vous en donnez l’ordre, vous encourez la réclusion criminelle à perpétuité.

Vous avez proposé de confisquer définitivement nos navires civils transportant de l’aide humanitaire. C’est un crime de guerre selon l’Article 8(2)(a)(iv) du Statut de Rome, qui interdit « l’appropriation de biens, non justifiée par des nécessités militaires ». Si vous en donnez l’ordre, vous encourez jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle.

Vous avez proposé de nous intercepter violemment alors que nous transportons de l’aide humanitaire vers des civils. C’est un crime de guerre selon l’Article 8(2)(b)(iii) du Statut de Rome qui interdit les « attaques dirigées contre le personnel employé dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ». Si vous en donnez l’ordre, vous encourez jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle, ou la réclusion criminelle à perpétuité en cas de décès.

En tant que ministre donneur d’ordres, vous portez la responsabilité de supérieur hiérarchique selon l’Article 28 du Statut de Rome pour tous les crimes commis par les forces de sécurité israéliennes en application de vos directives. Vos déclarations publiques constituent une incitation directe aux crimes de guerre contre le personnel humanitaire international selon l’Article 25(3) du Statut de Rome.

L’ensemble de vos propositions viole également l’Article 71§2 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève, qui impose le « respect et protection » du personnel de secours humanitaire, constituant des « infractions graves au droit international humanitaire » selon l’Article 85 de ce même Protocole.

Je vous invite donc, Monsieur le Ministre, à revenir à la raison. 

Thomas Guénolé, Professeur de relations internationales, Volontaire français à bord de la Global Sumud Flotilla.